samedi 7 février 2009

La certitude sert-elle le croyant ... ou la théologie ?


Le texte qui suit est une sorte de « rapprochement critique » avec mon « fonds » de la pensée de Karl Heim, pensée résumée dans l’article Die Religionsphilosophie Karl Heims d’Ulrich Beutler paru dans la revue Information Philosophie 2 / 2008.

Témoigner de notre foi ou démontrer nos créations ?

Karl Heim est un homme de foi. Mais sa foi veut savoir – mieux ! elle veut la certitude. Qu’est-ce que la certitude ? Quelles sont ses conditions, sa portée, sa manière de « s’exposer » une fois acquise ? Ne se dit-elle pas parfois comme une affaire de conviction personnelle, et parfois comme religion, c’est-à-dire comme une affaire collective ? La différence n’est-elle pas dans le type de mouvement qui nous porte vers les autres, ici à leur démontrer, là à leur faire partager notre simple joie ?

Au commencement, on cherche l’unité du monde

Chercher l’unité du monde, les yeux grands ouverts, voilà peut-être le « trait métaphysique » d’un homme. La pensée de Heim peut être qualifiée de métaphysique dans un sens inductif, peut-on lire, comme la recherche d’une description unitaire de la structure du monde vivant et du monde physique. (109- 24) Heim conjuguera donc les deux mondes du croire et du penser, tentant tour à tour d’unifier foi et savoir, puis de relever leur contraste. (110-13-15) Il suivra également les avertissements de Nietzsche et de l’empirisme logique, nous dit Beutler, sur les dangers, voire l’inanité d’un ‘deuxième monde réel’ ou de propos métaphysiques insensés sur l’inobservable. Pour autant, il ne renonce pas à son projet d’une vision d’ensemble de la réalité (qu’il nomme aussi « Science dernière » ou « Science du tout »), dans la pure tradition idéaliste (Leibniz, Hegel). Notre Weltanschauung, il veut la réactualiser au vu des nouvelles découvertes de la physique contemporaine.

Conjuguer

On peut se demander si un physicien se mettant à songer à une possible métaphysique ne se « suggère » pas aussitôt quelque discours métaphysique – ou la foi même.1 Quoi qu’il en soit, la pensée de Heim est hantée par une autre dimension : son vœu est de mettre théologiquement en valeur l’exigence du Christ d’une réalité de la vie dans son ensemble, indépendante de toute pensée. (109–1) Lors, cette indépendance signifierait (validerait ?) aussitôt, selon lui, l’immédiate certitude de la foi, sans le recours d’une pensée réflexive ou rationnelle. De fait, Heim tente précisément de fonder l’irrationalité de la foi de telle sorte que celle-ci, bien que sans fond, devienne cependant pensable. (109–3) – Mais autant penser l’impensable ! Et puis pensable en quels termes ? Si la pensée rationnelle est ce qu’il y a de plus contraire (et de farouchement opposé !) à tout irrationnel croire, le pari de Heim est ici d’unir leur incommensurabilité. Comment va-t-il s’y prendre ? La théorie de la connaissance jouera chez lui le rôle critique, sa philosophie de la nature sera constructive. (109-5)

Récupérer, argumenter

Heim veut la foi évangélique,2 il veut disséminer une parole religieuse, mais aussi démontrer. Ses moyens d’y parvenir sont intellectuels. La physique de son temps lui offre une opportunité, il profite de la crise des fondements des sciences de la nature comme on profite des faiblesses d’un adversaire. Sans le vouloir, les sciences de la nature, dit-il, font le lit de la foi, 3 car elles ont détruit nombre d’évidences concernant la matière, l’espace et le temps qui avaient cours jusque-là parmi les hommes de pure rationalité. Ainsi la nouvelle théorie de la connaissance qu’il propose permet à Heim de révoquer aux yeux de tous l’ancienne image du monde, philosophique et scientifique, qui contredisait la foi. Un nouvel argument voit le jour : L’espace, le temps et la matière montrent des structures parallèles à la foi – aussi la certitude de la foi devient pensable au sein même des exigences de la pensée philosophique ou des sciences de la nature. (109-6) Un principe fondamental, le principe de relativité (la loi de la perspective ou loi des « espaces polarisés »4) est reconnu comme nouvelle image possible du monde, débarrassée de l’image traditionnelle – de l’espace. (109-7)5 On devine là l’influence des travaux d’Einstein. Une ontologie de la relation se dessine peu à peu, laquelle offrira selon Heim un cadre philosophique à la foi dans le Christ du nouveau Testament. (109-8)

Foi ou théologie ?

Ce qui m’intéresse ici, comme je l’ai dit en commençant, c’est le domaine de l’expression, à savoir ce qui s’exprime exactement. La foi consiste-t-elle en un désir de théologie, ou bien débouche-t-elle en quelque façon toujours sur celle-ci ? Assurément pas. Alors que se passe-t-il « de l’une à l’autre » si je puis dire, pour qu’un homme de foi se mette à exprimer, comme dans le cas de Karl Heim, moins sa foi religieuse personnelle que son désir de fonder un système ? Le problème central chez lui, dans sa recherche du fondement d’une vision unitaire du monde, écrit Beutler, est la question de la certitude religieuse. (110-25) Mais celle-ci confirmera-t-elle Heim dans sa foi ? Lui épargnera-t-elle le doute ? Ou bien s’agit-il pour lui de théoriser à la face du monde et d’offrir à tous une vision unitaire possible ? La certitude servirait-elle donc à cela ? La foi se contente de moins ! Prend-elle pour autant des risques ? …

Ontologie de la relation

Mais bien plus qu’exprimer sa propre foi, c’est en effet d’asseoir une théologie qui anime Heim. Il veut concilier celle-ci aux sciences de la nature. Dans son premier essai, 6 il cherchait un accès à la réalité à partir d’une expérience réaliste, telle qu’elle est envisagée par les sciences de son époque. Plus tard, il renonce à toute idée de substance lié au Je ou à l’objet, au profit d’une ontologie de la relation qu’il juge confirmée par la nouvelle physique (en fait, toujours celle d’Einstein). (110-10) C’est ainsi qu’il voit Dieu ou le Monde, Je et l’objet, esprit et matière, le figuratif et le non figuratif, non plus comme les différentes parties ou composants d’un Tout, mais respectivement comme le Tout sous différents points de vue. (111-22) Heim nomme ceux-ci des dimensions. Chacune de ces dimensions, bien sûr, prend part au Tout, mais surtout toute différence dimensionnelle est une détermination dynamique du Je en rapport avec lui-même et le monde matériel. Bref, éprouver et connaître sont deux moments (ou modes) du rapport du Je avec lui-même dans sa relation au monde. (ibid.)7

Heim a bien vu que la foi émet des propos sur le « tout » de la réalité qu’elle est incapable d’étayer ni par la réalité, ni par la logique déductive. Mais dans la mesure où la foi présente quelque chose de réel et veut saisir la réalité comme un tout, elle doit s’accorder, selon lui, avec toutes les réalités individuelles dont parlerait la « formule du monde » (110-11) Pour accorder ensemble foi et « formule du monde », Heim dit que la foi est structurellement similaire aux autres décisions de la volonté (?), et qu’elle suffit donc à ladite formule. Et c’est précisément cette similitude formelle, qui ferait que la « décision religieuse » peut être subsumée au caractère relationnel de la réalité, et la théologie ainsi libérée de son statut particulier au sein de la théorie de la connaissance. (110-12)

Si j’ai bien compris, et pour le redire avec mes mots, il n’y aurait de réalité que relationnelle (ni la chose ni le je ne sont substance, est-il dit plus haut), et par conséquent la foi non seulement serait elle aussi, et de plein droit, un des moyens de connaître, mais elle aussi appartiendrait à part entière à la réalité même. Le principe de la relation vaut donc ontologiquement comme formule du monde – confirmée, encore une fois, par la physique actuelle (110-10)

Abaisser la pensée, élever la foi

Heim veut-il concilier foi et pensée ? S’aide-t-il le cas échéant de leur contraste, comme il fut dit plus haut, pour y parvenir ? Non, dans son désir d’étayer la foi « en raison », si je puis dire, Heim se sert des découvertes scientifiques de son époque, tout en dévalorisant la pensée qui leur a donné lieu : l’irrationalité de la foi, formellement identique à l’irrationalité de l’effectif ou de la réalité même, réduit selon lui sensiblement les possibilités de la pensée, au bénéfice, bien sûr, de la foi. (110-16) En d’autres termes, le réel étant (défini) irrationnel, la foi lui correspond davantage que la pensée rationnelle (cqfd ?). Et Heim d’entériner de façon provocatrice sans doute sa théorie de la relation … religieuse : « L’exigence souveraine de certitude de la religion est un vestige de la santé originelle d’un penser (au sein d’une vision [actuelle] du monde) malade d’une théorie de la connaissance » (110-26) 8 (les parenthèses sont de moi)

- Il me semble qu’il y a là quelque chose d’étrange (…) à vouloir convaincre les hommes au sujet de la santé dans les termes d’une maladie qu’ils affectionnent – le langage de la connaissance – parce que lui seul leur parle, réussit à les convaincre.9 La foi en Dieu et / ou en l’Unité du monde, voire armée de Certitude, n’a-t-elle d’autre moyen de contaminer les hommes que de se corrompre elle-même, de s’abaisser à leur inter-dire (malade, selon Heim), 10 à une rhétorique, une – théologie ?

Quoi qu’il en soit, l’expression d’un homme (ce qu’il croit, ce qu’il en fait) n’est pas toujours « téléologiquement » destinée à convaincre : après tout, point n’est nécessaire de foi religieuse pour bâtir en raison un système de l’unité du monde ! Et il n’y a point d’absolu commandement, pour un homme de foi, à s’abaisser à une connaissance humaine, qui en serait, dit-on, privée (de foi), pour simplement témoigner d’elle-même. Un théologien pourrait aussi bien témoigner de sa théologie sans ambitionner d’« exprimer l’essence de la foi évangélique dans la forme de la pensée contemporaine ». (110-17) Car alors, parce qu’elle est évangélique, l’essence de toute foi évangélique est à coup sûr de s’exprimer dans la forme de la pensée ambiante – en quoi elle ressemble à s’y méprendre à la rhétorique. A trop vouloir convaincre les autres de théologie, la foi ne finit-elle pas par servir d’alibi ? Mais je suppose qu’il n’y a là aucun problème : les théologies intéressent les théologiens, comme l’épistémologie intéresse les épistémologistes. Les hommes de foi, quant à eux, s’intéressent très certainement et plus simplement – à leur foi.

L’espace en fond (la relation explicitée ?)

Après la certitude de la foi, Heim prend un nouveau point de départ : la certitude de l’existence. Y a-t-il quelque chose, demande-t-il, qui nous accorde la certitude que notre vie ne consiste pas en une chute dans le vide ? Selon lui, un relativisme total ne menace pas seulement la pensée, mais également l’existence même. (111-18) En bon « cognisciste » donc, Heim ne craint pas d’affirmer que la question dernière est la question du sens et qu’elle est identique à la question de Dieu. Mais encore : en tant que question d’être, l’interrogation du sens ou de Dieu sur la certitude de la vie et de l’existence est une question ontologique fondamentale. (111-19) Comme toute théologie s’appuie sur des présupposés philosophiques, « une telle philosophie doit être trouvée qui ne s’oppose pas à la religion, mais au contraire renferme en elle le principe même de la religion ». Heim esquisse ainsi le noyau conceptuel de ce « fondement philosophique d’une vision christique du monde » à travers le principe de « dimensions », caractère ontologique même du réel, selon lui, vu plus haut. - L’ontologie de la relation servirait donc à Heim de philosophie au service de sa théologie, c’est-à-dire en vue de convaincre les hommes du bien-fondé de celle-ci.

Partant de l’espace comme ce qui détermine l’essence de l’étant (c’est-à-dire en tant que motif et fondement de la réalité), Heim développe une sorte de principe des catégories (111-26) La première de ces catégories, identique au concept de relation ou du Continuum, est celle de la polarité qui, par sa généralité, nous permet une représentation de tous les rapports possibles, objectifs ou pas. La polarité [être-relation ?] est la loi du monde dans lequel nous vivons, elle domine non seulement chaque espace intérieurement, mais également les espaces entre eux dans lesquels se joue notre vie. – Est-ce à dire qu’un croyant et homme de science, par exemple, ne peut « s’accorder avec lui-même » qu’à travers une théologie … d’une ontologie de l’espace ?

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1 commentaire:

  1. C'est le désir de con/vaincre qui fait peur.
    C'est un aveu de peur.
    Se sentirait-il menacé ?

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