vendredi 26 juin 2009

Communication artiste ?

(Juin 09, 5 pages)

a) Nous avons longtemps cru nous aussi que vous nous parliez, et que vous nous parliez de quelque chose, notamment, objet de prédilection dans vos bouches, de ce qui nous échappe et qui nous détermine : du poste de commande, en quelque sorte. Aujourd’hui nous savons que cette volonté de savoir qui nous est commune fut toujours, de fait, à traduire, à placer ou replacer dans un contexte bien plus vivant et bien plus important pour notre avenir politique : celui des relations humaines à travers le dire, où la question première est :


Qui parle ?


J’invoquerai ici un autre nous que ce nous abstrait mais très efficacement concret (par son pouvoir de pénétration dans nos esprits) auquel nous avons toujours été dressés au fil des siècles, tout d’abord, originairement, pour qu’il y ait du savoir puis, par la suite, pour quand il y aurait du savoir en perspective entre nous. Chacun de nous ne sait ainsi aujourd’hui encore que parce qu’un cadre relationnel a préalablement fait nous.* [1]


Qui est « nous » ? Aucun de nous.

Mais nous est l’enfant béni de l’inter-dire.[2]


Non seulement ça n’est pas à chacun de nous que vous parlez mais à un nous abstrait auquel chacun est convié et conviera à son tour s’il prend la parole selon les règles, mais en outre vous ne nous dîtes pas quelque chose : bien plutôt vous faites parler cette chose : Entité ou Instance. Une foule de réalités (d’Existants*) ont en effet, grâce à vous, le don de parole : Dieu, l’Histoire, la Culture, la Sociologie, la Collectivité, la Pragmatique, la Démocratie, etc. Même notre propre absence est susceptible de nous parler ! De Foucault à Brandom par exemple, nous entendons parler toute la dénégation du sujet que nous sommes. La « pratique », en l’occurrence, pense pour nous ! Un édifice entre nous – voilà ce que tout dire savoir dresse.[3] C’est sur cette édification que se fonde votre désir de communiquer, c’est-à-dire de nous faire savoir. Sachant comme purs êtres de langage,* vous acceptez lors volontiers de répondre aux questions. Mais vous ne cherchez à savoir que pour autant que ça vous permet de commercer du réel parmi nous et de figurer en bonne place au sein de l’inter-dire. Vous êtes des égoïstes. Le confort de l’intellectuel que vous êtes est de n’avoir pas à se justifier de faire, mais seulement, suivant la règle, de « ce qu’on dit ».[4] Les intentions et les relations sont entendues : seul compte la force du contenu, la démonstration. Comme si démontrer n’était rien d’autre que dire la vérité de parole ! [5]


La vérité de parole sans la vérité de parler ?

Vous livrez des contenus, mais parler ou écrire sont des comportements !


*

b) Si dans l’œuf même, chacune de nos opinions, visions ou intuitions est aussitôt assortie, comme prise d’une violente démangeaison, d’explications en bonne et due forme, alors cela traduit à coup sûr qu’entre expression pure (sans témoin et sans destinataire prémédités) et communication il n’y a qu’un temps dont on se passerait.


L’expression naît alors dans la seule communication pure,

« Son monde », dit-on.


Je ne veux pas me passer de ce temps-là. Je veux analyser et jouir de cette durée, de cette différence entre l’explicitation[6] et l’explication.* Fussè-je un produit de l’inter-dire,* l’explication traditionnelle, douée d’arguments, est-elle forcément pour moi la seule conséquence possible de chacune de mes idées, chacun de mes ressentis ? Ceux-ci ne peuvent-ils emprunter un autre chemin, déboucher sur autre chose ? Le chemin qui va d’une vision du monde, par exemple, à sa démonstration, cet empressement nôtre à toujours vouloir expliquer, n’est peut-être que la manifestation de notre dressage collectif à l’inter-dire, à la communication pure * ; ce qui se dessine en revanche dans l’explicitation artiste qui tranche avec pareil automatisme, c’est un autre rapport aux autres. [7]

Est-on libre de choisir son type de dire ? Il y a les explications qui servent à délimiter notre vision des choses (par exemple en quoi le « croire ontologique » n’est pas psychologique) ; il y a les explications qui l’illustrent (par exemple l’animal qui s’enfuit à mon approche me fait signe de notre commune présence). Mais s’il n’y a traditionnellement d’explications véritables que celles destinées à convaincre, alors ces deux exemples donnés en réalité « seulement » explicitent. En revanche, faire savoir, est-ce là tout ce que pour quoi nous voulons nous dire ? Ne serions-nous doués de paroles que pour toujours justifier auprès des autres ce qu’on leur dit, et se donner raison, quant à soi, d’être comme on est et de penser comme on pense ? Il y a certes un plaisir à convaincre autrui et à travailler à savoir ensemble, mais qu’advient-il « personnellement », dans un paradigme de communication pure, si l’on échoue ? On se retrouve sans rien, on se sent « vide ». La « réussite personnelle » passe donc par la reconnaissance d’autrui sine qua non.[8] Là encore pourtant le saut est franchi un peu vite. La communication se veut donc « pure » ? elle sert à chacun d’expression. C’est le paradigme communicationnel qui veut ça, il nous éduque ainsi, ainsi nous enrôle.

Si un homme change son habitude de toujours exclusivement communiquer (de la sorte), s’il laisse plus de place à l’expression pour elle-même, lui laisse seulement le temps d’être « elle-même » [9] avant de la livrer aux autres, que se passera-t-il ? Il se mettra alors à construire à partir de soi (dire-être*) et non plus à partir de l’effet escompté sur autrui. Ce sera déjà beaucoup pour se (re)connaître enfin lui-même ! Surtout, il apercevra peut-être ce que le chemin traditionnel des explications destinées à convaincre (chemin emprunté par le désir d’expression de chacun suivant les règles) masquait jusque-là à sa vue : une autre forme de communication : une communication artiste ?


*


c) Que peut bien être une communication « artiste » ? Un échange de propos ou de réalisations artistiques ? Mais un propos, artistique ou pas, n’est pas nécessairement communicatif : il faut au minimum se comprendre. Pour cela, à coup sûr, il ne s’agit donc plus pour nous de communiquer de l’un à l’autre selon le paradigme, mais comme deux pièces d’une même appartenance. * La volonté de savoir et ses contraintes rendent nos expressions redevables a priori de la communication pure. Contre elle, chacun montrera alors quelque autre motif de dire aux autres que celui, sempiternel, de produire sur eux un effet escompté. [10]


L’expression n’est pas préméditation !


La communication « artiste » se fait ici éthique : nous comprendre signifie implicitement une autre relation de l’un à l’autre: « Disons ce que nous ne savons pas non point ce que nous regrettons de ne pas savoir, mais précisément ce qu’il suffit à chacun de croire puisqu’il l’aura patiemment suivi, puisqu’il l’aura construit : que chacun rende apparent et si possible beau ce qu’il croit. N’allons point imaginer, ne spéculons pas, c’est inutile ! »


*

d) Nos philosophes sont d’éternels étudiants. Ils veulent tous (et tout) savoir, c’est là leur dernière volonté. En ce sens, quelles que soient leurs divergences, ils sont tous des philosophes du savoir et de tout ce qui s’en suit. Or s’il faut en effet des concepts pour expliciter ce que l’on voit et comprend (travailler à exprimer « ce qui est »), ceux-ci ne nous font pas nécessairement savoir. « Pour preuve » : j’ai exposé à mon tour (dans mon « fonds » et ici ou là) ma vision des choses et il se peut qu’elle soit juste et vérifiable mais non point sur une relation préétablie (et officielle) aux autres.


C’est du dire-être, non point du savoir,

Une traduction au monde, non point un investissement économique.


Si je dis-être en marge de la communication actuelle, je le fais pourtant en mots. Si j’use du langage comme d’une palette de couleurs destinées à reproduire, à traduire, à exprimer, je veux croire que ça n’est pas en artiste mondain exposant son tableau, mais comme homme exposant un exemple possible à suivre. Bien sûr, puisque la raison du plus fort est et restera toujours la meilleure, il ne faut pas espérer une révolution mondiale de la communication. Mais peut-être que créer et se reconnaître soi permettra-t-il toujours à certains d’entre nous d’entrer autrement en contact avec les autres et avec eux-mêmes ?

*

e) « J’ai longtemps cherché à savoir ; je reconnais aujourd’hui contre ce désir auréolé et innocent que je nourrissais en réalité en moi le succédané, imposé par la société, d’un tout autre désir, plus naturel, plus viscéral : celui de communiquer. » Et ainsi de chacun de nous ? [11]

Notre Culture, fondée sur le verbe savoir (à partir de ces Existants que sont la Pensée, la Raison, Moi, etc.), n’est qu’un prolongement humain de la nature. L’illusion d’un dépassement de celle-ci tient au fait que nous nous concentrons sur les seuls Existants qu’elle produit, et non sur ses gestes, sur la réalité de son inter-dire … En dépit de notre Culture, nous ne sommes supérieurs à aucun autre être au monde : la même violence. [12] Une éthique de la communication parmi nous ne serait donc pas seulement un geste culturel et politique, elle nous élèverait véritablement au-dessus de la nature, de sa violence naturelle, naturellement aveugle. Le voulons-nous ?


Ethique : communiquer autrement,

Sur la base d’un dépassement de l’inter-dire historique.


*

f) Est-il éthique, conformément à notre désir de communiquer autrement, de livrer à des lecteurs une théorie seule, sans autre contexte de relations humaines, leur fournissant ainsi l’image d’un discours s’apparentant à l’éternelle théologie ? [13] Ne serait-il pas plus équitable envers nous, lecteurs, de l’insérer entre une « vision des choses » et le type de dire qu’on aura explicitement choisi ?

« Dis-moi, dis-nous simplement ce que tu penses. Epargne-nous de devoir suivre toutes tes démonstrations et de prendre note de tous ces justifications ou références jointes pour simplement connaître ta pensée ils ne répondront pas nécessairement à nos questions. Donne-nous, tes explications seulement si on te les demande Eh quoi ! écris donc deux livres s’il le faut, l’un avec, l’autre sans ! Comment ! Tu crains de ‘‘n’intéresser’’ personne si tu ne convaincs pas !? Ah, je te tiens, affairiste ! Ce que tu crois n’y suffit-il pas ? T’est-il interdit de nous le dire ? En as-tu honte peut-être ? Ou bien crois-tu que ça n’intéresserait personne, que ça ne « regarde » que toi ? * Quelle leçon récites-tu donc là ! Mais dis-moi, qu’est-ce qui différencie une théorie dûment nourrie d’explications d’une exposition pure et simple de ses conclusions ? A qui s’adresse la première sinon à ceux qui voudraient s’y frotter s’ils le peuvent ? Et à qui s’adresse la seconde (la même sans les lourdeurs discursives) sinon à ceux qui se cherchent ? Cette seconde proposition t’étonne ? Eh quoi ! n’es-tu pas toi-même dans ce qui te parle ! N’as-tu pas choisi notamment de nous parler de telle chose plutôt que de telle autre ? Y aurait-il dans ton choix une question d’identité et un type (pré-)choisi de relations, peut-être? Et c’est purement de savoir que tu nous parles ?


*

g) (A Pierrôt) Quel est donc ce lien qui unit manifestement spiritualité et poésie ? (et inversement si l’on croit que le chemin est à double sens) : n’y a-t-il point là un autre type de dire, un autre espace de communication ? Croit-on, de façon plus générale, que d’un dire à l’autre, quelques différents qu’ils soient, seule la « chose dite » change ? [14] C’est mal connaître l’élan de parole. De quel dire ? Par exemple celui qui traduit le bonheur de trouver soudainement les mots qui résolvent, de ramasser, en même temps qu’on s’élève soi-même, ces images qui nous tombent dessus, apaisent une tension :


Inspiration !


Ne dirait-on pas la fin, fut-elle provisoire, d’un tourment, une résolution peut-être. Je veux me mettre humainement à prolonger la grâce, dire mes mots à d’autres qui peut-être les aimeront.


Le poète dit aux autres :

« Mes mots vous aiment. »


Je suis heureux, nous dit-il plus prosaïquement, de posséder les mots qui parlent enfin, et pour cette raison de les livrer aux autres. Qu’est-ce à dire ? Devons-nous croire qu’il dit quelque chose dans le sens d’un objet perçu par l’autre ? Mais le lecteur ou mon interlocuteur qui comprend ce processus de création saura bien qu’il n’est point dit « quelque chose » mais que, bien plutôt, quelque chose se dit.


Et si c’était notre relation de l’un à l’autre

Du fait de l’espace choisi ?


De ce qui précède, un programme implicite se dessine : Dire-être enfin et enfin communiquer ! Et si l’on n’y arrive pas : s’acharner à mettre au monde un grand poème. Parler au soi, parler au vent (c’est-à-dire au ciel et à la terre) ou bien dire aux autres en beauté ce qu’on pense … Est-ce là tout ? Non, surtout de mots (ou de toute autre forme d’expression) faire présence. Avant qu’il ne circule parmi les hommes …


… Dresser un tableau parmi les arbres et les temples

Qui soit aussi notre acte commun de présence.


Si créer est un acte de présence avant que d’être de communication, chacun est alors enfin libre d’expression, c’est-à-dire de se mettre tout d’abord lui-même en présence dans l’espace (de création-communication) de son choix. Il n’y a donc pas que les hommes, il y a un précédent, un « préalable » ! * Qu’il interpelle le dieu, se love en musique, s’architecture en peinture, ou s’invente dans un roman ses frères, cet autre espace sera montré à ses semblables – en quelque façon que ce soit : salles de concerts ou d’expositions ici ou là, ou en personne pour qu’ils s’y reconnaissent.


Ce ne sont pas que des mots, des sons, des formes ou des couleurs

Quand on ne voit plus seulement « la chose ».


*

[Rieuse digression : Rencontre avec un saint

- Mais pourquoi les hommes mêmes ne seraient-ils pas mon espace direct d’expression ? Pourquoi n’écrirais-je pas en eux mon poème ? Je leur livrerais alors en personne !

- Es-tu un saint, mon frère ? Ceux qui agissent ainsi n’ont habituellement aucune idée de l’expression, ils ne vivent que de l’effet qu’ils produisent sur les autres. Ils n’ont aucune image sur laquelle s’arrêter, eux-mêmes ne sont rien, qu’incessante démangeaison.

- Les hommes m’inspirent.

- Veux-tu faire d’eux ta matière première ?

- Je veux leur donner, je ne retiens rien, je suis traversé d’une sorte de « plénitude vide », d’une transparence in-inquiète. Certains hommes, parce qu’ils n’ont peur de rien, combattent les autres et s’en servent. La plupart des autres, parce qu’ils en ont peur, se défendent. Je n’ai peur de rien et c’est pourquoi j’aime les hommes.

- Crois-tu donc que notre civilisation en soit responsable ? Qu’elle pousse chacun à craindre les autres et ne leur laisse d’autre alternative, suivant sa propre force, que de les convaincre ou de s’en défendre ?

- Que ferais-je d’autre moi-même si j’expliquais cela aux hommes ?

- Au fond, ton dernier mot est amen !

- Qu’il en soit ainsi !

(nous rions). ]

<<0>>



[1] Ce signe est un renvoi facultatif aux bras-de-mer précédents, voire à mon « fonds ».

[2] Quand Habermas dit « nous », nous parle-t-il ou parle-t-il à son tour de nous ?

[3] On pourrait se contenter de livrer aux autres ce que l’on croit « avec certitude » et ajouter: « Si vous en doutez, allez vérifier vous-même ! » De fait on laisserait ainsi à chacun la liberté de poser SES questions, histoire de ne point leur barrer la route, les étouffer dans l’œuf en forçant le respect de nos interlocuteurs ou lecteurs devant « ce-qui-est » et une si belle démonstration. Ainsi à quelqu’un qui sait que 2 x 2 font 4, je demande par exemple: « Qui parle ici ? » et « Où cela se passe-t-il donc ? »

[4] Ainsi Wittgenstein creusant (dans De la certitude) la logique de nos propos, c’est-à-dire de leur seule signification et ses épigones (Brandom par exemple) de réduire l’intention à la signification. *

[5] Matthias Vogel, Medien der Vernunft, page 63, rapportant la pensée de Austin (reprise par Habermas) me donne à penser que « l’acte illocutoire » serait le privilège des gens de savoir : il serait entendu qu’il n’est pas comme le perlocutoire cette vilaine recherche d’effet plus ou moins dissimulée. C’est-à-dire qu’à la différence de celui-ci, l’acte illocutoire serait parfaitement constructif, et ce en vertu des intentions, toutes clairement présentées, qui l’animent … Je ne vois là que la perfidie de coudées franches * associées à un droit ancestral oublié, c’est-à-dire que nul ne songe même plus interroger. Il est faux de sous-entendre que tout est dit : le dressage ou le conditionnement préalable n’est pas à taire, il est aujourd’hui encore une condition sine qua non : « volonté de savoir est preuve de socialisation » pourrait-on dire c’est-à-dire qu’on est bien dans l’inter-dire en place, qu’on est prêt à entrer dans la danse. Qu’un individu s’avise seulement de ne pas vouloir savoir (la loi notamment) et de ne pas user de la façon de communiquer qu’on lui enseigne, pour voir …

[6] Encore faut-il lui donner forme propre.

[7] L’exemple le plus pertinent est la différence de comportement envers l’autre selon que l’on croit ou que l’on sait – ce qu’on lui dit. On ne s’assure pas de savoir ce que l’on croit seulement pour soi … du reste, peu d’hommes ont cette exigence-là. Non, il importe le plus souvent de savoir que pour autant qu’on va (devoir ?) le dire aux autres, mieux : pour pouvoir dire aux autres avec autorité (dont la moindre forme est la crédibilité).

[8] Dans ces conditions, notre propre mort sera terrible parce qu’on sera alors seul : ici les autres nous quitteront, et de soi à soi on ne se reconnaîtra plus.

[9] Ce qui ne veut pas dire nécessairement « être enfin soi » (slogan sans esprit de conséquence, car si c’est pire pour les autres ?)

[10] Supra. Pas de tremplin ici pour le savoir : la volonté de savoir n’a pas besoin de nos croires sinon pour les extraire de notre volonté de communiquer (et en faire du savoir sur nous). Mais peut-être bien, à l’inverse, que notre savoir-faire en matière de communication artiste a-t-il besoin de ceux-ci ?

[11] Ronald A. Laing dit quelque part que nous cherchons tous une véritable rencontre.

[12] Notre langage nous a permis de créer et de nous introjecter des Existants qui nous aident à croire en la Culture séparée de la nature. C’est là son « show » en quelque sorte. Dans la pratique, si l’on veut bien cesser de focaliser notre attention, selon les règles, sur les seuls Existants, les mobiles et le savoir-croire personnel et collectif * s’y manifestent alors pareillement que chez tous les autres êtres au monde (quelquefois même en pire !) : les mêmes croire et faire croire ; surtout la même manifeste volonté de puissance.

[13] Je songe ici à l’ouvrage théorique de Matthias Vogel (cité plus haut) qui m’aura inspiré ce texte plutôt qu’une analyse. Mais ça n’est qu’un exemple.

[14] Et que donc tous les dires, quels qu’ils soient, occupent le même espace ?

mardi 23 juin 2009

Les médias de l'intention

(Juin 09, 5 pages)

« L’intention de la structure »

Non, je n’ai pas l’intention de faire parler à mon tour quelque entité, car à l’inverse de Michel Foucault ou de Robert Brandom par exemple 1 je ne prends pas partie pour quelque instance collective et normative (la structure ou la pratique, ou tout autre nom qu’on lui donne) au point de faire disparaître ou de nier le sujet – un sujet qui se trouve alors rejeté, pour ainsi dire, à l’autre bout de la pièce, c’est-à-dire à l’autre bout de la relation qu’il entretient avec les autres hommes. Mon soupçon est que pareille disparition du sujet est peut-être moins une conséquence des études entreprises qu’un moyen de mettre plus encore en avant, par simple effet de contraste, ce que l’auteur ici ou là présente : elle ferait partie d’un « dispositif », comme l’entend peut-être J.L. Baudry, c’est-à-dire d’une sorte d’« intention sans sujet », ici la condition d’un énoncé. 2

Je ne veux pas faire parler une autre « entité » que « moi » si je parle effectivement à d’autres hommes. Si j’évacuais le sujet qui parle, je ferais précisément parler une sociologie, une théorie ou une histoire, sempiternels avatars institutionnels de cet inter-dire ancestral (en actes de dire) dont j’entreprends ici et là de remettre en question le paradigme. Car il signifie, selon moi, le paradigme d’une certaine relation, ancestrale, à « ce qui est » et à « ceux qui savent », rarement interrogée. Mon premier étonnement face à cette façon de faire propre au savoir ou à sa méthode en matière de dire, fut-il révolutionnaire, 3 peut s’exprimer ainsi :

C’est telle ou telle instance ou entité que l’auteur fait parler dans ce livre,

Mais c’est pourtant lui qui le signe.


Mais je ne sacralise pas pour autant le sujet ou moi-même. Je n’en fais pas une entité homogène, et moins encore souveraine. Il m’importe assez peu pour mon propos d’avoir cette ferme consistance qu’on prête aux objets de valeurs.4 Je garde, si l’on veut, de chacun de nous, bien que sujet historique lui aussi (comme ces entités qui l’encadrent de toutes parts et d’autres que son propre moi, même, enserre), sa capacité naturelle et toujours actuelle (sous tous ses travestissements) de croire et de faire croire. (…)5 Ces deux notions sont ici exemptes de jugement de valeur pour autant que je peux, à titre de méthode, user d’un simple naturalisme souriant.


« L’invention de la structure » : l’expression n’est donc pas à prendre au sens propre et coutumier de signe d’une intention d’afficher « ce qui est », fut-ce sous la forme d’une hypothèse ou d’une plausibilité (« voici selon moi ce qu’il en est de »). Je l’écris dans le sens de :


« Voyez comment l’ensemble que forment nos dires entre eux

Semble s’organiser de lui-même à notre insu, comme si lui aussi pensait. »


On le voit, loin de se résoudre, l’énigme posée dans mon « fonds » s’étend à des Existants non étants, (…) à des Existants possibles … Je l’ai écrit tantôt, il me faut à mon tour m’y résigner :


La vérité est notre amen.


Pour autant, si j’ignore le « fin mot » de l’énigme et me résous à jouer le jeu du croire et du faire croire, j’assume les conséquences de mes découvertes en matière d’expression et de communication (ce que je crois de mes Existants : inter-dire, savoir-croire, dire-être …) sur mon propre dire : je ne vais pas creuser ces réalités découvertes à mon tour, et auxquels je donne mes mots, au point d’en faire des objets de savoir, des motifs de savoir. Je préfère les laisser au stade de vision du monde ou d’intuition. Je ne saurais en effet alimenter le nom et le verbe par excellence de la grammaire actuelle de notre inter-dire. Je ne suis pas dans cette logique. Je suis à la recherche (ou la redécouverte) d’un sage mélange d’expression et de communication. (…)

Voici donc ce que je suis en mesure de construire et de faire exister pour vous aussi peut-être. Voilà ce que je dis. Même ce que je sais malgré moi, c’est-à-dire en dépit de ma résolution de m’en tenir au verbe croire, constitue pour ma conception de la communication seulement un matériau de construction. Non point, bien sûr, un matériau pour un plus grand savoir encore, mais pour ce que je communique. C’est dire que ce que je sais, je ne veux surtout pas me contenter de vous le dire, moins encore d’en vivre ou de tirer quelque gloire de l’imposer, de l’enseigner. L’enseignement, précisément, transmet une tradition, un certain rapport à ce qui est et à ceux qui veillent à sa perpétuation. Au perfectionnement du dispositif, en définitive. Fut-il enseignement de quelque réalité révolutionnaire, un enseignement pourrait pourtant constituer pour nous une invite autre qu’à simplement apprendre et assimiler pour pouvoir communiquer plus ou moins de force.


On ne s’arrêterait plus au savoir

Surtout pas pour le dire.


Je ne dévalue tout du long le savoir auquel on s’arrête que parce qu’il constitue une relation figée à « ce qui est » et à ceux qui nous enseignent. Nous pouvons autrement nous dire.



Le caché du sens

Si aucune partie n’est jamais le tout, ni le tout la somme des parties, parler de « l’intention » de ce tout, de cette structure que nous formons ou dans laquelle nous vivons, renvoie logiquement à quelque « sens caché » pour nous, individus. Pour ma part, je me contente de parler ici de « savoir-croire » d’espèce ou propre à une civilisation, une collectivité, etc. (…) La métaphysique, nous dit Sybille Krämer, 6 interroge précisément l’invisible mais néanmoins réel qui se cache derrière le donné. Et elle met en parallèle ce caché qui fait traditionnellement l’objet de la recherche métaphysique avec le côté invisible mais non moins actif des médias. (82-3) Rien de métaphysique cependant dans son analyse : selon elle, dans l’évènement (ou processus ?) médiatique, la surface visible est constituée du sens, du contenu ; la structure profondément cachée en revanche, est [simplement] formée par le médium même, dans sa propre matérialité sensorielle. Le visible est le message, l’invisible le médium. (id.) Selon moi, il y a sans nul doute un lien stratégique entre l’invisibilité du médium et la visibilité exclusive du message : ne montrer que celui-ci.7 Pour autant il n’y aurait donc dans ce caché aucune « intention ». Une opportunité tout du moins, peut-être ? Celle, précisément de faire parler un absent, de montrer d’une main invisible ? (infra)

Le caché est toujours associé à un non-caché, un manifeste, un présent, un « donné ». Son « caché » attenant ne serait cependant plus, pour nous, dans quelque réalité métaphysique parce que transcendante, mais dans ce que lui-même cache, à savoir dans ses propres conditions d’apparition (être) et d’exercice (faire-croire). 8 Dans cette optique, lesdites conditions nous apparaissent comme s’il s’agissait d’intention, voire de préméditation. Elles font naître un soupçon. J’ai ainsi soupçonné tantôt une intention de masquer, un « comme si » dans le faire savoir : « Le dire savoir insiste sur l’objet, ne voit que lui, ne montre que lui ». 9 J’y ai vu une stratégie, la main invisible d’un « savoir-croire » inspirant notre inter-dire. Je suggère ici pareillement l’ironie d’une certaine histoire de la recherche humaine :


Le sens du caché, c’est celui que lui-même renferme :

Le verbe savoir est au croire ce que le sens est aux signes. (…)


Les hommes croiraient ainsi sincèrement que la vérité se découvre derrière l’apparence (et grâce à elle ainsi sauraient), sans voir que ce qu’il y a « derrière » cette apparence n’est que ce qui est nécessairement et simplement tu ou masqué pour que ça apparaisse. Et ainsi de la vérité !? Ce que la vérité renferme originellement en son sein, objet élu de parole, c’est peut-être la raison politique pour laquelle elle est apparue. Le réseau, l’inter-dire humain s’est organisé tout seul (comme tout ce qui est réseau) pour que les hommes se saisissent d’elle, la vérité, comme d’une opportunité pour leur dire ; leur « savoir-croire » aurait donné aux hommes la vérité (tombée du ciel comme par miracle) pour qu’ils communiquent enfin, s’organisent consciemment. Le réseau (Existant non-étant) s’est auto-organisé comme s’il pensait. Nous lui prêtons même l’intention de nous aider à prendre conscience de nous-mêmes. 10 Mais ceux qui parlent des normes de la langue ou des médias comme de ce qui détermine a priori nos intentions de signifier, ne vont pas assez loin : De nos jours les médias offrent à chacun l’opportunité de n’avoir plus simplement à s’exprimer, dire ce qu’il pense, mais de pouvoir enfin « communiquer », c’est-à-dire penser tout autrement …11 : la vérité traditionnelle, en-soi, n’a plus cours ; la vérité nouvelle est désormais une vérité d’inter-dire 12 jusqu’à l’excès, jusqu’à faire croire aux hommes que l’expression est toute communication.


Le dispositif relationnel du verbe savoir

Les médias sont transparents, dit Krämer, et ils nous livrent ce qui n’est pas d’eux, mais auquel ils ajoutent leur griffe – c’est-à-dire leurs intentions au passage ?

Il y a de l’implicite dans l’usage que nous faisons du langage, au point que toute intention individuelle de signifier serait quasi impersonnelle, nous dit en substance Brandom. Qu’est-ce que ça signifie ?

Nos comportements sont normalisés entre nous autour du verbe savoir, est ce que je veux dire ici. Le dispositif relationnel qui l’encadre est tel qu’il semble avoir été conçu tout exprès : la personne qui m’enseigne ou m’informe ne me parle pas d’elle-même, elle fait parler quelque objet ou réalité. Entre nous, on ne se parle que de quelque chose, voire d’objectivités et de méthodes. Chacun tacitement sait bien qu’il défend ses intérêts propres, qu’il est là, dans la relation, pour représenter quelque chose ou idée. Voilà qui est parfaitement entendu. Cependant, que quelqu’un me parle par exemple de philosophie de l’esprit ou de philosophie des médias, je sens bien qu’il ne me dit pas seulement ces choses dont il parle, il me voit bien plutôt être dans tel ou tel espace conçu par sa pensée, et me parle manifestement pour que je m’y sente à mon tour. En clair, son intention de me faire savoir ou de me transmettre (médias) ne vise pas seulement à me « faire croire », elle vise, de par la relation tripartite qui est mise en scène 13 à me faire être. Le comportement de mon interlocuteur (ou de l’appareil médiatique), me montre en effet que je SUIS véritablement l’ami ou l’adversaire, le client, le patient, l’élève, le citoyen, le téléspectateur etc. … qui va avec le discours qu’il prononce. (…) Surtout, ce que je comprends, c’est que je ne suis rien ou nulle part si je crois être ailleurs. Alors à mon tour, je lui réponds implicitement qu’il a raison, que notre relation doit en effet être tripartite, consister à faire être l’autre, qu’il est un devoir civique pour chacun de nous d’informer son prochain … Chez Platon, déjà, le dialogue était la forme idéale d’éducation. Que pourrais-je changer à une si longue tradition !


Médias ou inter-dire ?

Il n’est pas étonnant que nos philosophes s’occupent de philosophie des médias et non point de l’inter-dire, des relations humaines qui les ont mises en place. N’est-ce point l’inter-dire humain pourtant qui s’est cristallisé ici ou là en institutions plus ou moins médiatiques, mais toujours éminemment formatrices et normatives ? Pourquoi isoler un pouvoir technique de faire l’homme quand l’inter-dire tout entier auquel on appartient et que l’on perpétue en est à l’origine et aujourd’hui encore l’objet de tous les appétits ? N’avons-nous pas à parler des institutions qui sont les nôtres, quelques-unes fixes (mentales et politiques), d’autres « mobiles » : les médias ? Pourquoi éluder encore et toujours les relations humaines ?


Parce qu’on est dans la communication en place.


J’ai moi aussi dans la tête plein d’« espaces pensables » comme dit Dieter Mersch, mais si je vous les dis sans jamais savoir, je ne vous y invite pas, je vous les présente seulement. On nous dit que les médias relaient ; mais ne nous transportent-ils pas bien plutôt ? Ne nous arrachent-ils pas à notre plate présence (et ses Existants) pour nous distraire, nous faire voir du pays, nous faire rencontrer plein de gens ? A. Margreiter va jusqu’à assimiler la médialité à l’Etre 14 Mais l’inter-dire n’est-il pas notre milieu ? N’est-il pas ce qui correspond topologiquement le mieux à notre verbe dire ? Notre dire (inter-dire) a créé deux espaces :


1) celui dans lequel on peut se dire (langue)

2) celui dont on connaît sur tous l’influence (et c’est pourquoi on le convoite)


C’est ce dernier espace (par exemple constitué en « Etat d’esprit » (…)) que les médias véhiculent sans le dire (quoi qu’ils disent ou transmettent), et non point les médias en tant que tels (lesquels ?) qui déterminent, sinon comme langue, nos dires. 15 Nos philosophes sont des agents de cette langue, ils usent des médias comme d’un moyen de dire … au plus grand nombre possible.



Expression / communication : sœurs ennemies ?


Deux questions, une attenante et une aboutissante :

La tenante :

Les médias favorisent-ils en chacun de nous (producteur potentiel) une autre intention de communiquer (et pas seulement une autre façon de communiquer) pour la seule raison qu’elles lui permettent de toucher un plus grand nombre ?


Soupçon rétroactif :

La vérité et la raison seraient-elles précisément apparues parmi les hommes dans cette autre intention? Si oui, alors l’expression naturelle et spontanée et la communication moderne sont désormais des sœurs ennemies. L’expression qui débouche aussitôt sur les médias (de par leur influence sur chacun de nous dès son enfance), c’est la communication pure, pure recherche de l’effet sur autrui sans l’entremise d’une expression séparable. C’est le code de notre inter-dire actuel, c’est la mort de l’expression.


L’aboutissante :

Quelle conséquence (si l’on veut bien en tirer) sur notre propre dire peut avoir la découverte de la tache aveugle de ce dire savoir constitutif de notre savoir communiquer ? Selon moi : une éthique de la communication qui redonne à l’expression son primat.


Alternative présente :

Ou bien nous continuons de nous parler comme si nous étions sur Mars – c’est-à-dire que là où nous sommes n’a aucune importance puisque toute « expression » EST désormais (dans un réseau de) communication – ou bien chacun de nous retrouve ses esprits, reprend conscience non seulement de l’ici et du maintenant, mais aussi de ce que c’est que dire(-être) à l’autre sans aussitôt vouloir le faire être. S’il est une expression indépendante, elle doit pouvoir se distinguer d’une pure recherche de l’effet sur autrui. Une « critique de la communication pure » consisterait à réveiller l’expression, à lui montrer la voie d’une autre communication. Communication artiste ? 16




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1 Que je découvre respectivement dans « L’archéologie du savoir » et dans l’article cité dans mon écrit précédent « A toi ou au plus grand nombre ? » (écrit auquel nombre de passages de celui-ci font allusion.)

2 Mon dire répond également à des conditions, mais peut-être est-il plus libre face aux « normes de significations » dont parle Brandom pour nier « l’intention du sujet », s’il n’a précisément pas la même intention de signifier ? Si ma façon de faire (avec mon dire) vise une autre façon de signifier et un autre objet de signification, alors peut-être « j’intentionne » en retour notre langue ? Je me garde cependant de la faire parler !

3 « Foucault révolutionne l’histoire », écrit Paul Veyne, c’est-à-dire sa méthode et son objet. Mais pareille révolution du contenu et de la méthode ne change rien au geste de dire aux autres. Ca n’est pas son intention.

4 « Faire de l’analyse historique le discours du continu et faire de la conscience humaine le sujet originaire de tout devenir et de toute pratique, ce sont les deux faces d’un même système de pensée » écrit Foucault (22)

5 Le signe (…) renvoie pour plus de précisions à mon « fonds ».

6 In : Was ist Medienphilosophie, I. P. 1/ 2006.

7 « Le dire savoir insiste sur l’objet, ne voit que lui, ne montre que lui ». (A toi ou au plus grand nombre ? » page 8.)

8 Krämer va même jusqu’à dire que tout ce qui est donné l’est par quelque média, que les médias peuvent être compris comme les conditions invisibles de la possibilité même du donné. Lambert Wiesing en déduit que la philosophie des médias ne doit pas être comprise comme une discipline de la philosophie, mais comme une chance de déterminer comment la philosophie doit être pratiquée. Pour Martin Seel, la philosophie des médias pourrait bien enrichir l’art de philosopher. (31-1)

9 Cf. « A toi ou au plus grand nombre ? » page 8.

10 Le point de vue de Matthias Vogel ?

11 Le langage est lui-même pour chacun de nous l’opportunité de l’organiser en discours suivant nos capacités logiques et artistiques. Mais il demeure une occasion de seulement s’exprimer, pas de communiquer (Cf. paragraphe suivant). En ce sens il n’est pas média.

12 Un savait si tous savaient. Aujourd’hui, l’interdisciplinarité accroît plus encore l’horizontalité humaine (sublunaire) de la vérité et fait ainsi lentement disparaître parmi les hommes tout résidu de transcendance. Pour autant, elle resserre les liens entre les hommes au point de les arracher à leur penchant naturel pour l’individualité, le privé, la spiritualité, la poésie, la superstition parfois … qui en sont à l’origine.

13 Cf. A toi ou au plus grand nombre possible ?

14 I.P.4/07

15 Dans la série « les médias nous font », on doit distinguer, il me semble, l’acteur, « le milieu » et l’outil proprement dit. Le milieu, au sens technique du mot, ce sont les institutions médiatiques et les hommes qui en vivent (télés, journaux, radios…) ; l’outil, c’est l’ensemble des moyens matériels de « fourguer », outil plus ou moins à la disposition de chacun (internet …) ; l’acteur c’est l’inter-dire au stade de son évolution. Il y a là une volonté de puissance en ébullition.

16 Cf. Bras de mer suivant.

A toi ou au plus grand nombre ?

Un savoir-faire nommé dire. Ou encore : Ce que croire et savoir font dire.



Sommaire :

Quelle intention as-tu de me dire ? Quelle relation entre nous est-ce là ?

Quel sujet choisis-tu pour ton verbe dire ?

Quelle intersubjectivité est la nôtre ?

Ce que savoir fait dire et ce qu’il empêche de voir.

Digression : quelle identité, pour quoi faire ?

(8 pages en tout, juin 09)


*

Quelle intention as-tu de me dire ? Quelle relation entre nous est-ce là ?

Pourquoi des philosophes de métier disputent-ils tel ou tel sujet1 quand, écrivant des articles sur les mêmes revues, ils ont manifestement les mêmes intentions, le même type de dire ? Dire savoir, en l’occurrence, est-ce de leur part user explicitement de la raison (qui habite ou gouverne implicitement ou explicitement le monde) et délivrer simplement ses manifestations à l’auditeur ou au lecteur, ou bien invoquer implicitement devant lui les raisons de sa subordination à l’« inter-dire » collectif sur lequel ils ont ou espèrent quelque influence ? 2 Concrètement : que peut bien vouloir dire pour eux « chercher à convaincre l’autre » quand on est assuré soi-même, comme chacun d’eux, de savoir ? 3 Puisque tous ces philosophes ont le même type de dire, ne peut-on imaginer leur parler autrement qu’ils ne le font, leur dire autre chose peut-être, et disputer ainsi avec eux plus véritablement de leur sujet ?


Je peux croire quelque chose sans avoir besoin de le dire à quelqu’un. Si je le dis, je ne ‘saurais’ alors dire autre chose que mon expérience, mon point de vue, rien de plus. Et si mon intention est d’imprimer alors quelque objet de pensée ou attitude dans le cœur ou l’esprit de mon interlocuteur par mon seul croire, alors cela reviendra à lui conseiller avec force conviction. Comme un témoignage.

En revanche, il n’y a pas de savoir possible, il me semble, sans dire. Si je sais véritablement quelque chose, c’est que d’autres m’auront confirmé dans cette relation à l’objet (de facto objet de savoir). Sans ces autres et cette confirmation, je croirais que je sais, c’est-à-dire cela ne ferait pas de différence. Il m’aura donc bien fallu les autres pour que je sache – et cesse par là de croire. En définitive, le verbe savoir est fondamentalement lié au verbe dire, conditionné par lui. Un effet du dire, peut-être ? Ou bien un produit de « l’inter-dire » en général, ce dire entre eux des hommes se constituant en espace de règles et de normes de langage ? Certains hommes, comme Robert Brandom, disent que la signification qu’expriment nos propos est conventionnelle et normative, que la rationalité du langage ne peut être réduite à une rationalité instrumentale, comme si le langage n’était qu’un simple moyen de transposer des pensées et des idées. D’autres, à l’inverse, disent que le sens de ce que je dis ne relève que de mon intention de signifier (Grice, par exemple). Mais l’intention même de dire à l’autre ? Quelle relation notamment ai-je avec un interlocuteur quelconque quand, sachant déjà pour l’avoir été confirmé précédemment par un grand nombre d’autres hommes, je me mets précisément à lui faire savoir à son tour ? Car je n’ai manifestement pas besoin de lui pour me confirmer dans mon verbe savoir ; je n’ai pas besoin de lui pour assurer mon savoir (nom). Alors qu’est-ce que je fais donc « avec » lui ? Qu’est-ce que je lui fais donc ou fais de lui ? Ma propre relation à la raison, la vérité ou l’objectivité (voire à Dieu), je l’ai voulue et la perçois toujours personnelle : « d’elle à moi » et inversement ; une relation pour ainsi dire intime existe entre la vérité (ou autre) et mon esprit (ou autre pourvu que je sache). Sans cette relation exclusive (une sorte de parenté naturelle, on « reconnaît » alors la vérité), à coup sûr la vérité même serait entachée d’un « tiers », et cela m’embarrasserait, me la ferait percevoir impure. En effet, j’ai beau avoir appris d’un autre homme telle ou telle vérité et lui être reconnaissant de me l’avoir enseignée, tout se passe cependant en moi comme si je découvrais seul à mon tour cette vérité. A supposer qu’un homme découvre seul une vérité, il ne se dédouble pas aussitôt en un qui ne sait pas et un autre qui sait. Je fais, je suis de même : j’évacue l’intermédiaire …


Alors, comment vais-je enseigner à mon tour cette vérité maintenant mienne ? A priori, parce que je me fais une certaine idée personnelle 4 de la communication, je dirai à l’autre la vérité comme une invite à reproduire à son tour ladite relation intime. Car si je m’insinuais dans sa relation personnelle à la vérité au point d’ériger entre nous un troisième pole, je serait forcé d’admettre que j’enseigne la vérité, non point en espérant seulement de mon interlocuteur quelque reconnaissance (c’est bien normal), mais bien pour constituer moi-même ledit tiers, telle une personne détournant l’intérêt de son interlocuteur pour la vérité – à son seul profit. La relation serait alors tripartite, je me confondrais en quelque façon à la vérité ou je vivrais de l’enseigner, et mon interlocuteur aurait à se soumettre à ce que je dis parce que c’est moi qui le dis – moi qui sais. En lui faisant savoir, je le ferais être.

Or donc, si cela fait une différence de dire à un autre ce que l’on croit ou de lui dire ce que l’on sait, pareille invite à la relation intime à la vérité, s’il en est, revient en fait à lui témoigner de notre croire, comme il est dit plus haut. Alors, qu’en penses-tu, lecteur, les hommes de savoir nous disent-ils ce qu’ils savent comme pour nous inviter à croire à notre tour en une relation intime avec la vérité qu’ils énoncent ? 5 A coup sûr, s’ils nous « invitent à savoir », ils nous invitent par là à propager un contenu de vérité et une façon de faire, c’est-à-dire à entrer dans la danse de l’inter-dire conventionnel, structuré comme une institution en haut de laquelle trône on ne sait quel savoir-croire. Quelle place y occupe-t-on alors ? Quel rôle y joue-t-on ?

Il y a bien, selon moi, un fâcheux tiers qui nous rend le plus souvent ladite relation tripartite, mais ça n’est pas la reconnaissance, fut-elle excessive, qu’un homme escompte des autres auxquels il livre la vérité. Et c’est pour « pratiquer » sans cesse le paradigme de cette « relation à trois » que les hommes de savoir montrent précisément que leur façon d’enseigner (fut-elle un jour autre ?) n’est pas une invite à la relation intime à la vérité – à une theoria dont on ne saurait peut-être que faire – mais une sommation à nous soumettre chacun personnellement à un espace mental collectif structuré (à travers un Objet de cet espace), sous la figure d’une vérité d’inter-dire d’où émanent toutes les autres vérités : 6 un Edifice.

« L’homme est le seul être vivant qui possède un langage » écrit Aristote (63). Il ne veut sûrement pas dire que seuls les hommes communiquent entre eux, mais que chez eux leur langage forme quelque chose « en plus ». Quoi donc ? Eh bien, ce langage distingue les hommes des animaux en ce qu’il constitue un espace – de raison. Les plantes et les animaux communiquent certes beaucoup, mais ils n’ont pas cet espace constitué en tant que tel. « Espace de raison » : ça n’est donc pas tant la raison humaine qu’il faut souligner ici, comme on le fait habituellement pour distinguer les hommes des autres êtres vivants, puisque les hommes découvrent également du rationnel dans les communications animales et végétales, et jusqu’au sein même des relations humaines dénuées d’intention, 7 mais bien son espace en tant que tel. Ce langage-espace constitué en raison (raison d’inter-dire) est même une condition nécessaire à la communautarisation des individus, ajoute Udo Tietz. (Id.) 8 Là encore, cela ne signifie pas que les animaux et les plantes ne constituent pas des communautés de par leurs communications, mais que les hommes possèdent un espace de représentation en sus que n’ont pas les autres êtres vivants. Dans cet espace « sont » précisément les Existants non présents (…), à commencer justement par « moi, je », « la raison » et autre « le monde » (…). Que la raison, fut-elle communicationnelle ou communautaire (ou tout ce qu’on voudra d’autre), soit chez nous linguistique, ça n’est pas non plus une raison de la distinguer des autres expressions de la rationalité (animales et végétales) : tous les êtres vivants ont un langage propre et il serait vain, à mon sens, de les comparer entre eux par leur seule faculté de faire signe « OU », comme chez ‘l’homme’, de faire sens. Tous les signes font signe, mais précisément seul l’espace noétique des hommes leur permet de faire sens. C’est là la différence. 9 Voilà qui pourrait expliquer que le sens spirituel (linguistique / intellectuel) d’un mot, d’une phrase, d’un discours ou d’une théorie qui ne cessent de renvoyer à cet espace de pensée et de compréhension formé par l’inter-dire (par exemple : « De l’intentionnalité, des règles et de l’intersubjectivité de la signification », titre de l’article d’Udo Tietz) soient capables de faire oublier aux hommes les signes que leurs dires constituent sur cet autre plan, plus immédiat, plus commun à tous les êtres, plus partagés par tous : la relation présente. En l’occurrence la relation implicite entretenue par le verbe savoir fait que nous sommes pour ainsi dire transposés aussitôt dans l’espace du langage qu’il illumine, laissant derrière nous la relation présente que c’est, comme une théologie (…) éclairerait nos âmes et laisserait du même coup nos corps dans l’ombre. Nous ne serions plus que des êtres de langage … C’est-à-dire absents au lieu commun d’être. (…)


Pour autant, le savoir institutionnel s’enquiert bien sûr de cette relation présente aussi. Du moins à sa façon, car selon moi, il y a à travers ce verbe savoir plus de conventions qu’il ne s’en dit. De quelle sorte ? – relationnelles, on l’aura compris. Qui plus est, la pratique liée au verbe savoir constituerait une convention relationnelle implicite. 10 C’est là mon intuition, si l’on veut. Ou peut-être un simple constat. Mais voici tout d’abord la façon savante, relevée dans l’article cité, d’aborder la relation de signification entre toi et moi, ou plutôt, et c’est là déjà un signe, « entre je et tu » : Le langage et la discussion peuvent être pensés (dialogiquement) à partir de la relation je / tu, nous dit Tietz. Cette relation est à considérer comme la structure sociale de base. (70) 11 Mais ne serait-ce point plutôt l’inverse ? Car si la relation toi / moi n’est pas exclusivement de signification (c’est-à-dire une relation exclusive de sens dans la seule sphère spirituelle / intellectuelle), elle peut alors être pensée (constatée) à partir du langage constitué conventionnellement en prétexte possible de rencontre, c’est-à-dire à partir de ce que le langage et ses conventions ont le pouvoir d’animer chez les hommes. Le verbe savoir y serait-il pour quelque chose ? Oui, comme prétexte requis. Dans ce cas, la structure sociale de base n’est pas un homme qui en rencontre un autre au hasard, mais la convention qu’ils vont adopter d’office pour se rencontrer. Ils sont tributaires de cette convention : l’un sait-il tandis que l’autre pas ? L’un et l’autre ne savent-ils pas ? L’un et l’autre savent-ils ? La rencontre se fera selon. Mais le cadre est le même. De fait, si je rencontre un jour l’un de ces philosophes, il ne me dira pas « seulement » croire ce qu’il sait (ou croit savoir). 12 Craint-il que son rapport aux autres, de façon générale, en soit altéré ? Craint-il d’être moqué, de n’être point crédible ? Il craint surtout, je crois, de ne « toucher » alors qu’un petit nombre d’hommes. 13 Non, il faut à tout moment montrer que l’on sait, et pour cela, il faut choisir qu’est-ce que l’on fait parler. La signification et l’intersubjectivité sont peut-être à rechercher aussi de ce côté-là ! Voici cependant comment Udo Tietz par exemple s’y prend : 14 il plante tout d’abord un décor généraliste tout à fait traditionnel (conventionnel) à partir duquel « il » pourra juger de l’affaire (Angelengenheit) : « Que le langage soit une affaire sociale ET intersubjective est peu contestable ». (63) C’est dire (c’est confirmé tout du long) que l’on parlera dans cet article traitant de l’intersubjectivité de la signification, à partir du langage constitué comme espace et, comme il est dit plus haut, de la relation « je / tu » abordée de ce seul point de vue. 15


Quel sujet choisis-tu pour ton verbe dire ?

L’affaire intersubjective dont les auteurs traiteront pareillement dans les articles suivants 16 ne sera donc pas non plus le fait que moi, Tietz, Brandom, Varna ou autre, parle à toi, mais l’espace mental collectif autorisé à parler à un plus grand nombre d’hommes (ici de lecteurs) possibles de la relation « x » entre deux hommes, c’est-à-dire ici de la signification et de l’intersubjectivité de leurs propos. Dans cet espace autorisé, les auteurs s’affrontent. Par exemple, on peut y lire : « Alors que Donald Davidson n’accorde pas de caractère normatif à la signification et conteste la thèse selon laquelle les règles seraient en quelque façon constitutives de la signification, Brandom pense à l’inverse que la signification est normative et qu’elle peut être reconstruite à partir de nos pratiques sociales ». (70) Mais si je sors du cadre imparti et m’autorise à contester que la signification (qui inclut les signes, donc, et qui n’est sans doute qu’un prétexte de rencontre) ne trouve à s’exprimer que dans cet espace exclusif fait de pensées de la théorie et / ou de la pratique, 17 alors je suis peut-être amené à me dire que des deux points de vue cités, l’un n’empêche pas l’autre : la signification n’est pas normative et les règles ne constituent pas à elles seules du sens (Davidson) dans la conscience du sujet – ET – la signification est bien normative et peut être en effet reconstruite à partir de nos pratiques sociales dans le cadre (certainement plus « large ») d’une sorte de psychologie sociale ou d’une sociologie des « pratiques de signification » (Brandom). De la sorte, le subjectif est inclus dans l’objectif et effectivement libre dans ses limites. 18 C’est-à-dire dans les limites de sa conscience. En quelque sorte : « Tant que tu te penses libre face à des possibles choix – parler / se taire ; dire vérité ou mensonge ; etc. – tu l’es véritablement. En revanche, aussitôt que tu penses ‘collectif’, tu fais penser l’inter-dire (ici le langage de la signification dans sa pratique) et celui-ci montre alors qu’il prescrit, que des conventions sont là, que les significations ne sont pas libres. » Mais alors qui parle en définitive ? Un malin et rusé génie peut-être, celui-là même qui souffle à tout instant à l’oreille de chacun d’entre nous : « Qui choisis-tu en a parte, en ton âme et conscience, selon telle ou telle circonstance et à quelle fin – de faire parler ? » ? 19 Voici selon moi le point crucial de liaison entre le verbe savoir et sa communication, d’où se déduit la relation humaine afférente : faire penser le collectif (l’inter-dire qui détient la vérité, et que chacun rêve d’alimenter personnellement) est à coup sûr un abus ontologique de langage car l’espace collectif que forme le savoir ne pense pas et ne dit pas, il « constitue » seulement un espace, celui des Existants non étants (…) et de la communication humaine pour laquelle ceux-ci existent. Or cet abus de l’ontologie exercé par l’inter-dire humain est justement la condition sine qua non de toute vérité, de tout savoir ! Sans quoi chacun seulement et à tout moment croirait, jamais ne saurait, jamais ne pourrait dire aux autres comme seul le verbe savoir le permet, comme seul le savoir – sait faire ! Tant que c’est moi qui parle (moi, sujet de mon verbe dire), je n’exprime que ma subjectivité, me fait-on savoir. Mais alors la question qui me vient à l’esprit est aussitôt : « l’objectivité pense-t-elle donc ? » Mais oui, c’est tout comme, puis-je moi-même répondre sans attendre la réponse, et la nature entière nous a habitués à voir de la pensée ou du penser en toutes choses. 20 Nous ne pouvons échapper à l’espace de la vérité, il semble être celui de prédilection de la communication humaine. Amen.

Le langage commun comme espace de référence pour la vérité même ? Il faut s’y résoudre : Davidson par exemple parle de discussion « à l’intérieur » du langage. Abus de langage ! Et Apel, Habermas et Brandom, ses détracteurs, considèrent à leur tour qu’on manque au sérieux de l’intersubjectivité quand on ne prend pas, comme eux, pour point de départ de notre analyse, l’intersubjectivité – du langage commun. (71-1) Le décor planté est formellement toujours le même. A défaut d’œuvrer en son sein, on raterait, peut-on lire à la suite, les concepts de signifier, de penser (meinen), et de comprendre… L’injonction est claire !


Quelle intersubjectivité est la nôtre ?

Ainsi, à en croire ces auteurs malgré leurs divergences, l’analyse de l’intersubjectivité dont il est question dans leurs propos n’est pas l’analyse du rapport de l’un d’eux à moi ou à tout autre personne singulière, et comprendre même ce que veut dire comprendre exige de chacun d’eux, auteur, qu’il ne m’explique pas vraiment à moi, lecteur, mais qu’il explique notre intersubjectivité en faisant simplement parler notre langage commun – devant moi. Il ne s’adresse donc pas à moi en personne, directement, il déroule simplement devant « moi », monsieur tout-le-monde, le discours d’un Existant non étant : le langage de la signification. Notre relation est tripartite, l’Edifice est bien là entre nous ...

Mon analyse à moi, qui veux parler au philosophe en personne, lui dit qu’en agissant ainsi, il n’entre en relation avec moi, lecteur occasionnel auquel il donne traditionnellement l’impression de s’adresser, 21 que par cet intermédiaire, ce verbe-là. Le verbe savoir en effet l’anime d’un bout à l’autre (l’autre bout étant le dire nécessaire à son savoir) et constitue à part entière le cadre de la relation qu’il entend avoir avec moi. « Par habitude », dirons-nous. Avec la plupart de ses lecteurs il ne souhaite d’ailleurs pas avoir d’autre relation. Le savoir est chez lui la base relationnelle qu’il privilégie entre toutes. Pourquoi ? parce qu’elle met son dire en contact – avec le plus grand nombre. C’est une tradition effective : le verbe savoir est lié au plus grand nombre d’hommes susceptibles de le recevoir. Et tel est peut-être le véritable cadre social du verbe savoir ! Voilà pourquoi de toi à moi et de moi à toi je conçois différemment notre intersubjectivité : nous n’avons que faire du plus grand nombre possible pour lequel est fait le savoir, auquel celui-ci correspond comme dire, nous n’avons pas à l’imiter. 22 Je constate de mon point de vue ainsi gagné que la volonté de savoir de mon interlocuteur a déjà instauré a priori entre nous une relation nécessaire, 23 tandis que si je lui dis (ce) que je crois et que lui fait de même (même si chacun devait a parte penser qu’il sait), notre intersubjectivité sera livrée à elle-même, nous aurons à l’improviser, l’inventer peut-être. Ou peut-être sera-t-elle tout simplement naturelle ? Ce sera une intersubjectivité faite d’une relation (neutre), et non point l’intersubjectivité réduite, en résumé, à « l’exercice de se parler dans le cadre d’un espace de signification décrété lieu de rencontre entre sujets… » Chacun dira à l’autre : « c’est à toi que je parle, non point au plus grand nombre ». Les conventionnalistes niant toute intention de signification, ne pourront tout du moins nier cette intention-. « Moi qui ne sais pas, je peux te dire ce que je crois. » ;-)

Ce que savoir fait dire et ce qu’il empêche de voir

Des conventionnalistes du langage et de la signification nous apprenons qu’en parlant nous pratiquons des règles et obéissons à des normes qu’aucun d’entre nous n’est cependant apte à formuler explicitement. Au point que croire suivre une règle n’est pas suivre la règle. (71-2) 24 Ce qu’ils contestent surtout, c’est qu’une intention de signifier corresponde à quelque réalité pré-langagière. Ils font tout pour que cette arrière-pensée de la pensée qui se dit n’existe pas, ne préexiste pas au langage articulé. Tout est pour ainsi dire dans la seule pratique du langage. Du reste, une « sémantique intentionnaliste » est à ranger dans la rubrique « philosophie de l’esprit » et ne concerne donc plus véritablement la communication humaine en tant que telle. Celle-ci se passe volontiers de « préavis » puisque tout peut être dévoilé à partir de son seul « exercice pratique ». Voici l’heure venue de la « raison expressive ». 25 (Brandom)

Moi, si je ne fais pas de mon savoir une condition a priori de ma relation à celui avec qui je parle, il peut m’arriver de dire à mon interlocuteur que pour être compris comme un homme refusant le paradigme relationnel traditionnel en matière de discussion et d’écrire – c’est-à-dire pour être compris comme voulant une autre relation à l’autre que celle hégémonique (et tripartite) liée au savoir, il ne faut pas tout (lui) expliquer. Il vaut mieux lui laisser imaginer que peut-être on invente, penser qu’en tout cas on n’est pas « complet », le laisser perplexe, c’est-à-dire à lui-même. De fait, le verbe savoir (lui, au contraire, explique le plus possible) est une relation à l’autre (ancestrale, culturelle, structurelle, faussement naturelle) qui en empêche une autre. Laquelle ? Elle n’intéresse pas nos philosophes et ils ne se privent pas de la taire. Peuvent-ils seulement entendre qu’il est une bonne raison pour que des hommes ne veuillent pas savoir ce qu’ils font quand il leur suffit de savoir-faire ? Eux les premiers !

Nous ne discutons pas ici, je parle tout seul. Supposons que nous discutions. Allons-nous intégrer dans notre discussion cet autre homme qui nous rejoint, qui étudie précisément (veut connaître, savoir) les relations humaines dans le cadre des discussions ? Il ne veut que savoir, alors que nous, peut-être, nous plaisantons. Il va nous dire cependant de cette relation humaine ce qu’en disent par exemple nos philosophes présents : qu’elle s’inscrit dans une « Angelengenheit » sociale, qu’elle procède pour une part (ou pas) d’intention, pour une part d’interprétation, et qu’il y a forcément dans cet échange et ce qu’il met ainsi en branle (la langue, les conventions, etc.) de quoi comprendre ce que signifie comprendre, interpréter, avoir l’intention de dire, etc. Et l’on apprendra même, de la bouche d’un quatrième (car les discussions intéressantes attirent du monde) que certains concepts sémantiques fondamentaux se laissent analyser à l’aide de concepts plus fondamentaux encore comme « conviction », « désir », ou « intention » (Searle, 65-2) Les écoutant, et nous prenant à leur jeu, mon interlocuteur et moi pourrions alors nous mettre à interroger plus avant l’un ou l’autre de ces intervenants, empruntant à notre tour leurs mêmes sillons épistémologiques : « Quelle marge sémantique les langues sinon les significations conventionnelles laissent-elles donc à d’autres intentions que celles ‘attendues’ ? » Ou encore : « Que disent a priori les différentes langues, peut-être, sur les différents rapports humains par le dire ? » 26 - Mais que sera devenue alors notre discussion ?


Moi à la place de ces intervenants, parce que je ne fais pas de mon savoir une condition a priori de ma relation à qui je parle (ou auquel j’écris), j’opterai sans doute de préférence pour le simple fait de constater, d’avoir des yeux pour voir et d’observer deux hommes en train de parler sans rien prendre en compte du contenu linguistique et purement sémantique de leurs articulations sonores. 27 Après tout, ce qu’ils se disent, ils ne le diraient pas devant moi ; ça les regarde. Moi, à la place de ces intervenants, je dirai aux passants qui s’approchent et m’interrogent que je n’entrerai pas dans leur discussion si c’est simplement pour dire aux interlocuteurs ce qu’ils sont en train de faire, 28 ce qu’ils remuent, et ce que tout cela signifie, a fortiori si c’est à leur insu. 29 Je dirai que ça n’est pas là, pour ma part, discuter, et que théoriser une discussion quelconque ou « la » discussion en général, c’est à coup sûr parler d’autre chose et d’une autre façon. Pourquoi parler d’une discussion autrement qu’en discutant avec ceux qui discutent ? Je me contente de constater, et si quelqu’un veut savoir quoi je constate, eh bien, je lui dirai que je crois voir les effets du verbe savoir qui habite « à proportion » l’un ou l’autre, l’un et l’autre des interlocuteurs. 30 Et il comprendra alors peut-être que si j’érigeais par la suite ce constat en un savoir, j’aurais moi-même à répondre des causes et des effets produits par cette adoption. De ce que je constate, quelles sont en effet les conditions pour que je puisse dire un jour que je le sais ? Précisément, il faudrait que j’adopte, que « j’intègre » cette relation particulière, en vertu des fins associées, qu’offre et autorise le verbe savoir (et inversement). Je « m’installerais » alors dans le cadre ontologique et relationnel formé depuis des siècles par ce verbe conçu et sélectionné entre tous pour son pouvoir de dire aux autres avec la plus grande efficacité. En toute innocence.

Est-ce que je constate ce que savoir empêche de voir !? – la convention relationnelle a priori liée précisément au verbe savoir (dont : dire savoir) et toutes ses pratiques. En matière d’échange autour de la vérité, il ne s’agirait donc pas seulement pour nous de remplir certaines conditions sémantiques, auxquelles l’épistémologie affectionne de le réduire, réduisant du même coup notre rôle « physique » à l’écoute ou à la collaboration, fut-elle critique. La volonté de savoir et l’échange verbal autour de la vérité ne seraient pas non plus si naturels qu’il y paraît. Certes, le verbe savoir est depuis longtemps le paradigme intouchable de l’exercice (= du dire) scientifique, philosophique, et même politique ! Mais ça n’est pas une raison, à mon sens, pour ne point l’étudier de près, voir la relation qu’il « est », fut-ce à condition … de ne pas savoir. Le paradoxe semble même requis. Suffirait-il donc de voir ? 31 Mais peut-être faut-il comprendre ce paradoxe comme le point de vue, déjà, d’une autre relation possible ! Un autre dire, une autre relation aux autres par le dire. Veut-on une formule du consensus relationnel traditionnel érigé autour du verbe d’élection ? Voici, il n’y a rien de plus innocent en apparence : « Je sais, je dis aux autres – lesquels autres m’écoutent volontiers parce qu’ils veulent savoir eux aussi ».32 Pour autant, l’essentiel est tu : ce que savoir veut dire en matière de relations humaines. 33 Ca n’est pas pour rien, en effet, que les propos de nos philosophes (pour ne citer qu’eux) relatifs à la signification et à l’intersubjectivité sont politiquement neutres. Ils constituent du savoir. L’inter-dire est structuré autour du joyau de telle sorte que « les devants » ont été pris une fois pour toutes. Encore une fois : le dire savoir insiste sur l’objet, ne voit que lui, ne montre que lui. Le savoir ne serait ainsi en aucune façon une relation politique parmi les hommes. Cela ce serait autre chose, « il ne faut pas tout confondre ! » Qu’il me suffise cependant de rappeler ici ce que le savoir supporte de légitimité, d’autorité et d’efficacité. Avec ces seuls trois mots, nous sommes déjà bel et bien campés dans le politique. Je ne crois pas que ce soit un hasard. Si dire savoir est un savoir-faire parmi d’autres, il est à coup sûr un savoir-faire – civique. Tous ceux qui enseignent ne me contrediront pas.


Digression : quelle identité, pour quoi faire ?

Tous nos actes sont-ils intentionnels ? Loin s’en faut, chacun le sait. Les plus conscients mêmes de nos actes laissent échapper d’autres raisons, d’autres causes que la seule intention consciente. Qu’il y ait selon nous une cause à toute chose, tout être « ceci » plutôt que « cela », tout acte – et que de cette cause on fasse parfois le sujet de cette part « involontaire » de notre comportement (par exemple « l’inconscient »), voilà qui rend clairement compte d’un partage de notre identité. Elle serait composée d’intentions et … d’autres motifs, variés.

Suis-je l’auteur de mes propres pensées ? Suis-je bien le sujet de mon dire ? Tous les enseignements moraux ont de tout temps eu pour vocation de nous faire corriger nos « opinions » (au nom d’un savoir, d’une vérité, de notre intérêt …), jamais, à ma connaissance, de nous en révéler l’origine. Pourquoi ? Peut-être parce que la prescription se devait d’être faite à des sujets à part entière, c’est-à-dire pour que chaque individu (naturellement fait de bric et de broc, et traversé de part en part par toutes sortes de « commandements ») croit réellement être ce sujet à part entière qu’on lui dit qu’il est, et prenne ainsi réellement en charge ce qu’« il » fait. (…) Voilà qui plaide pour un conventionnalisme – de l’identité même ! (…) Etre soi, c’est déjà une tâche ! Que de devoirs aussitôt prescrits ! Voilà surtout selon moi qui rend inopinée toute théorie de la seule « signification » ou du seul « langage ». Il y faut pour le moins adjoindre le politique (la relation a priori formée par la vérité et le verbe savoir) et l’identité des locuteurs (qui parle et dans quelle proportion est-ce bien lui qui parle ?).



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1 Par exemple « Sur l’intentionnalité, les règles et l’intersubjectivité de la signification », titre d’un des articles d’appui, écrit par Udo Tietz (DZP 1/2003) en allemand.

2 Je nomme « inter-dire » le dire entre eux des hommes, mais aussi ce qu’il constitue implicitement comme espace de vérité (voir plus loin). C’est le conventionnalisme décrit dans l’article de Tietz cité plus loin qui m’a inspiré cette question, sauf que pour lui c’est au niveau des normes implicites du langage et de la signification que se trouve notre subordination. Le dire savoir ainsi n’est pas abordé.

3 Certes, ils ne disent pas explicitement qu’ils savent, mais ils ne disent pas non plus qu’ils croient seulement ce qu’ils disent. Leurs réserves habituelles, en ce sens, ne sont que polies et prudentes. En réalité, chacun confronte son point de vue aux autres dans l’espoir d’emporter le morceau. Celui qui gagne est celui qui saura et sera légitimé à enseigner, c’est-à-dire acquerra un droit sur l’inter-dire.

4 C’est-à-dire entre personnes, sans tiers médiateur qui parle.

5 Le mot intime ne doit pas tromper : il ne s’agit pas d’une relation affective, mais bien exclusivement individuelle. De fait, la vérité se donne à tout le monde, au plus grand nombre justement, indistinctement … En somme chacun ne sait que personnellement (qu’avec son seul cerveau), même si les conditions sont pour cela parfaitement relationnelles ( = l’un sait si tous savent).

6 Ce peut être « l’esprit » dont on fait la philosophie, ou « le langage » ou encore les médias dont on apprend que nous leur appartenons. Ce peut-être plus largement l’ancestrale « la pensée », comprise comme l’espace véritable de la réalité …

7 Précisément l’ambition cognitive des conventionnalistes cités dans l’ouvrage d’appui, qui veulent soustraire la raison à la théorie pure traditionnelle pour la faire résulter de la pure pratique, de la pragmatique sémantique.

8 Je le dis avec mes mots.

9 Selon moi, d’un point de vue objectif, le sens fait (ferait) lui aussi seulement signe. Il ne fait sens parmi les hommes qu’entre hommes, précisément, qu’intersubjectivement. Cela signifie (…) que ce même sens intersubjectif occulte délibérément le signe qu’il est sur le plan de la communication en tant que relation. C’est même là, manifestement, une condition. (voir bras de mer suivant) D’un homme à l’autre, on ne communique ainsi effectivement que du sens. Par exemple lorsque des philosophes étudient l’intentionnalité de la seule signification, du seul sens et non du signe relationnel, précisément. Car des signes, ne les s’intéressent que ceux qui sont en rapport avec le sens (par exemple les phonèmes ou les graphèmes du langage ou de l’écriture articulé(e)) alors qu’il en va, dans une discussion, d’un rapport autrement sémantique que celui relatif à la seule sphère noético-linguistique.

A coup sûr, mon point de vue rabaisse ici les relations humaines faisant du sens à celles, animales ou végétales, constituées simplement de signes. C’est l’énigme qui veut ça (…), l’énigme d’une extrême minorité d’êtres vivants, les hommes, à laquelle la totalité des autres êtres vivants ne peut être, selon moi, ramenée. Ou alors, à l’inverse il faut concéder que les plantes et les animaux, tout comme les hommes, pensent, se conduisent de façon intentionnelle, sont capables de stratégies, et disposent certainement, comme nous, d’un espace de représentations destiné aux Existants non étants nécessaires à leur développement.

10 Le caractère implicite de la relation fait ici encore espièglement écho aux normes de signification également implicites dont parle Brandom.

11 Et il ajoute : là-dessus Davidson (« intentionnaliste ») et Brandom (« conventionnaliste ») seraient d’accord. Leur désaccord se situerait entre l’individualisme antinormatif (Davidson) et le communautarisme normatif (Brandom) et la question de savoir si la signification est normative, et si le fait de comprendre a quelque chose à voir avec les règles d’une pratique communautaire (du langage). (Id.)

12 Supra.

13 Et dans le cas d’une revue, l’auteur publie pour toucher le plus de monde possible.

14 Aucune malveillance dans mon propos, je veux simplement relever qu’un paradigme de la relation humaine s’exerce par le savoir, lequel fonctionne précisément comme « convention pratique dont on ne saurait formuler les règles », cheval de bataille des conventionnalistes de la signification, si j’ai bien compris.

15 On peut croire que l’objectivité consiste (commande) à « faire parler les faits ». En réalité, c’est un espace noétique que l’on fait parler, quel que soit le nom qu’on lui donne ou dans lequel on fait apparaître l’objectivité même – des faits.

16 De Hans Julius Schneider ( Règles constitutives et normativité) et Sebastian Rödl (Norme et nature)

17 Certes, il est dit ici ou là que la théorie de la signification ne se suffirait plus à la rationalité des règles de l’intelligibilité. Elle toucherait tout autant (sinon exclusivement) à la communication pratique, à la pragmatique. (64-3) Pour autant, on continue de parler de cette pragmatique ou en son sein dans un cadre noétique préétabli. On fait de la pragmatique une nouvelle théorie. C’est-à-dire : on a les mêmes ambitions, le même type de dire, le même cadre relationnel constitutif du savoir. L’affrontement n’est que « d’apparat ».

18 Et pour être tout à fait naturaliste, on suggèrera que le subjectif est peut-être le poste avancé, la pointe extrême de la réalité objective.

19 « Tu sais, il est peu conseillé de parler en son nom propre devant un auditoire, et plus encore de parler ‘en général’ dans le privé ». ah ! la signification selon nos philosophes !

20 La (fameuse – pour moi) énigme posée à la pensée par tout ce qui vit (sinon tout ce qui est même) et ne pense pas mais est pourtant comme s’il fut pensé et, pire encore, se comporte comme s’il pensait. (…)

21 Et celui-ci le croit au titre que l’accès à la vérité est personnel. Ca fait partie du programme sans doute, du savoir-croire lié au paradigme relationnel autour du savoir (…).

22 Je ne défends pas ici le « tête-à-tête » contre toute sorte de conférence devant un parterre, je constate simplement que le savoir, bien que public donc, s’est immiscé précisément dans nos discussions privées. Que vais-je transmettre de ma lecture de l’article (public) à un ami ? Précisément ce que je suis en train d’écrire. Et si je le peux, je le publierai même ! Une torpille ?

23 Il n’en est pas même conscient, tout occupé qu’il est à profiter et me faire profiter d’un même engouement pour « le » verbe par excellence. C’est là notre culture.

24 Brandom passe des intentions et des conventions aux normes implicites à la pratique de la signification, normes qui peuvent cependant être expliquées, selon lui, indépendamment des intentions et des conventions. Ce serait là une interprétation pragmatique des normes. (72-1)

25 Si j’ai bien compris, il s’agit pour Brandom d’établir une raison expressive, c’est-à-dire d’une part une rationalité purement « pragmatique » se manifestant à l’insu des hommes mêmes pour cette raison qu’ils mettent en pratique des règles simplement mais nécessairement implicites. Mais sur le plan purement intellectuel, il s’agirait d’autre part pour lui d’arracher à la théorie traditionnelle son comptant d’idées (toute théorie traditionnelle est composée exclusivement d’idées) pour y substituer des éléments (sorte de pouvoirs) attachés à la seule pratique. Pour le dire avec les mots de mon « fonds » : il est un savoir-croire collectif insu de tous derrière la juste pratique, par tous, des règles de l’inter-dire. Il donne simplement l’orientation générale de l’inter-dire humain au sein d’une collectivité. Si ce savoir-croire pouvait être constitué en raison tout en échappant ainsi à l’immanence ou la transcendance de quelque Existant suprême, alors la pratique collective de ces règles ferait apparaître une raison purement communicationnelle. Brandom écrit : « Il y a une sorte de justesse qui ne dépend d’aucune justification donnée explicitement, une justesse de la pratique. C’est en ce sens que ‘’suivre les règles’’ est [seulement] une praxis. » (72) A mon sens, Brandom découvre ici que le savoir-faire n’est pas un savoir, et il découvre un savoir-faire dans la communication humaine dont la raison traditionnelle seule ne peut rendre compte. Je ne peux manquer, pour ma part, de relever une analogie entre cette implicite raison du savoir-faire et l’implicite existence, pour tous les hommes, de la vérité.

26 Brandom a-t-il lu Vico ? Celui-ci lut dans l’ancienne langue italienne toute la sagesse d’un peuple passé.

27 Une sorte d’éthologie éthique ! ;-) Du reste, avec le verbe savoir peut tout à fait être considéré, non point l’essentiel de la signification intersubjective, mais le pré-texte par excellence d’une relation « choisie ». Le véritable texte de la relation serait donc ailleurs que dans ce qui se dit entre deux hommes.

28 Ben oui, ils sont eux aussi des lecteurs potentiels.

29 Deux auteurs récents ont écrit une « Ethique de la discussion ». Apel et Habermas, je crois. Ont-ils discuté dans l’ouvrage, et de façon éthique ?

30 Par exemple l’un des deux sait mais sa façon de dire à l’autre fait que celui-ci ne le croit pas, en dépit des vérités émises. Je me demande ce que l’étude de la signification viendrait faire là !

31 Bien voir : une docte ignorance ?

32 Ca n’est peut-être là, ce consensus, qu’un conditionnement collectif, à l’image du conditionnement psycho-économique actuel tant féru lui aussi de communication …

33 Sans parler des coudées franches laissées depuis ses origines à la volonté de savoir humaine dans ses « relations » aux objets et autres êtres vivants ou morts, sa façon de faire, de les traiter … De là on aurait pu déjà soupçonner quelque chose !

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