dimanche 17 janvier 2010

Langages et inter-dire

(Juillet 09, 12 pages – modifié le )

Langues et langages



Chacun de nous use de langage(s) pour s’exprimer et utilise le plus couramment pour cela sa langue maternelle, langue naturelle commune. C’est dire qu’il parle alors dans la langue qui est à la disposition de tous.
« La philosophie dans la langue » 1 – comment entend-on l’expression ? Peut-être ainsi : la philosophie use d’un langage, elle n’est pas la seule, les autres disciplines culturelles aussi, et aussi chacun de nous dans sa vie de tous les jours. En d’autres termes : nous tous, au sein d’un même pays, pensons dans la même langue, fut-ce en différents langages. De ce point de vue, l’article « La philosophie dans la langue » de Dieter Heinrich va donc sûrement nous parler du langage de la philosophie. Et en effet, l’auteur précise : « Il ne doit pas être question de (…), mais de comment la philosophie trouve son propre langage » (7- 2).

Immanquablement, Dieter Heinrich écrit donc son article « La philosophie dans la langue » dans le langage de la philosophie. Mais ça n’est immanquable que parce que Heinrich écrit ici en philosophe. 2 Pour un observateur extérieur, « la philosophie dans la langue » signifiera tout aussi bien la place du langage philosophique parmi les autres langages (dont l’arrière-plan commun est la langue), voire : la place de la philosophie (en tant que discours et institution) au sein de l’inter-dire humain (rapport de pouvoirs entre différents langages, différents types de dires). Pour cet observateur extérieur, une réserve s’impose : écrire sur la philosophie dans la langue  – commune – sans faire mention des différentes façons de parler ou d’écrire cette langue commune – c’est-à-dire sans traiter des rapports (politiques) entre eux de ces différents langages – ce serait à coup sûr théoriser sur la langue même, prétendre « parler » d’emblée « la langue de tous les langages », la langue d’une théologique philosophie. Il est à espérer, selon lui, que cet article « La philosophie dans la langue » écrit dans le langage philosophique n’ait pas fait oublier à son auteur que la philosophie est un langage parmi d’autres. Arguer ici que la philosophie est la mieux placée (compétente) pour parler de sa propre place « dans la langue », signifierait qu’elle décide seule de sa définition. Une souveraineté qui lui aura fait oublier que la langue est à tout le monde, et que la place dévolue à chaque langage est octroyée par l’inter-dire.

La philosophie ne fait pas l’inter-dire, elle y prend seulement part

Protéger la philosophie ?
Un homme qui s’aviserait de protéger la philosophie n’entendra pas défendre seulement son langage personnel de philosophe. Il entendra implicitement au moins défendre une langue même : « la philosophie ». Mais la philosophie est-elle une langue ? Bien sûr que non puisqu’elle est intelligible dans notre langue maternelle (naturelle).

De quoi ne doit-il pas être question, selon l’auteur, dans la citation (tronquée) ci-dessus ? De l’inverse du titre, si je puis dire : de la langue dans la philosophie (id.). Et l’avertissement s’adresse explicitement aux théoriciens de la langue : concentrés qu’ils sont sur les problèmes des fondements de la langue, ils pourraient aisément négliger comment la philosophie trouve son langage. (id.) L’avertissement sonne cependant comme une mesure de protection : ce titre donné à l’article, « La philosophie dans la langue », s’interdit-il de laisser supposer une quelconque influence de fond de la langue commune (via l’inter-dire) sur le langage philosophique, peut-être ? Ou bien n’est-il pas philosophique de s’interroger sur cette influence, peut-être occulte ? De fait, la précaution me paraît inutile : une pareille découverte de cette influence n’empêcherait nullement les hommes de continuer à s’inter-dire, et la philosophie de se constituer toujours plus – en langage. Pour ma part, je ne voudrais pas devenir philosophe si j’avais alors à défendre impérativement la philosophie comme langue ! Aussi, je préfère me ranger du côté de cet observateur curieux de la langue, certes, mais également de cet espace « inter-langages » qu’est l’inter-dire. L’auteur de l’article, fut-ce dans son langage, n’en fait pas mention : quelle place occupe la philosophie parmi les autres Existants institutionnels dans la langue, et quelles sont les prérogatives du philosophe au sein de l’inter-dire ? Ca n’est pas dit dans « La philosophie dans la langue » vue par notre philosophe. La langue sans l’inter-dire me semble pourtant lettre morte, comme un texte sans âme.

Eluder (instinctivement ?) l’inter-dire
Comme pour écarter un danger, Heinrich se défend donc de considérer que la langue puisse déterminer a priori la philosophie plus que par la simple forme. Si l’on s’intéresse philosophiquement, dans le cadre d’une théorie de la langue, aux fondements de la langue parmi toutes les autres activités humaines, écrit-il, il semble que son origine fut inspirée par la nécessité de fournir à chacun le moyen de communiquer ses pensées aux autres hommes …(14-5) Loin de lui, manifestement, l’idée que le langage ait pu apparaître, dès son origine, comme une obligation sociale faite aux hommes par un certain dire au pouvoir (fut-il démocratique, voire simplement collectif, c’est aussitôt éducation, enseignement, poursuite de la tradition, obéissance aux us et coutumes, dissensions, etc., bref – inter-dire), et que l’expression de nos pensées personnelles et autres sentiments n’en soient que le corollaire individuel participatif. De quoi participerait alors la philosophie, par exemple ? Ce serait pourtant ainsi, de façon active qu’elle serait alors la philosophie – dans la langue !

Si donc la langue en tant que telle n’est peut-être pas le cadre socialement contraignant de nos pensées (c’est à voir !), on ne peut nier cependant, il me semble, que nos dires entre eux (notre inter-dire) sont, en pratique, organisés et hiérarchisés. Mais alors l’exercice de la langue n’est plus seulement une contrainte sémantique, comme se plaisent à dire les anti-intentionnistes !* La philosophie, sous ce rapport, est une institution parmi d’autres.

Certes, sans le parler entre eux des hommes, reconnaît Heinrich, il n’y aurait d’autre langage (expression) de la pensée que celle assimilable au langage informatique, mais non point de langue naturelle. Celle-ci est toujours aussi une forme d’acte expressif, mais comme langue elle n’est pensable qu’en tant que déterminée en soi par un réseau de significations de mots et de plans de constructions de phrases. (15-1) C’est pourquoi, poursuit-il, fut-elle venue au Dasein [il épingle ici Heidegger], elle ne peut plus être comprise de façon adéquate comme moyen de se comprendre [verständigen]. (15-2)

Voilà donc un brin de théorie de la langue qui s’accorde bien à la philosophie. La langue ne serait donc qu’un ensemble de règles ? Il ne nous reste alors plus qu’à connaître comment la philosophie, enfin libre de toute appartenance ou participation radicale (à un paradigme social en matière de savoir et de communication, en l’occurrence), trouve son propre langage. Heinrich propose pour cela de commencer par … définir la philosophie.


Définir la philosophie et ses taches
Qu’il revienne à la langue commune d’imprimer toute pensée de son sceau originel – pour le moins d’une signification de fond – Heinrich n’a rien à en craindre pour la philosophie puisque cette vérité là, s’il en est, réunit des auteurs aussi différents que Heidegger et Wittgenstein … (7-1) Une fois écartée de la sorte toute incidence de la langue (ou théorie de ce type sur la langue) sur la pensée philosophique, et montré que la philosophie ne saurait s’occuper de telle affaire, 3 il peut alors définir la philosophie. Mais trouve-t-on juste de traiter de « La philosophie dans la langue » en commençant par écarter les obstacles d’une définition de la philosophie tout court, et de surcroît par elle-même ? 4 La philosophie dans la langue : c’est-à-dire après qu’elle a pris ses distances ? (15-11-8) Heinrich le justifie implicitement ainsi : la philosophie n’est pas née d’une confrontation à la langue mais en rapport à – la conscience de soi. 5 Cela fut-il vrai (voir Socrate, en effet), cela n’interdit pas l’hypothèse d’un langage (voire d’une langue, pour ne pas dire d’un inter-dire) qui aurait déterminé précisément la philosophie, la conscience de soi – ou les deux. Je vois dans la démarche de Heinrich la volonté de bien délimiter les territoires : « la philosophie » d’abord – ensuite seulement « … dans la langue ». 6 S’agit-il, là encore, de préserver l’exercice de la philosophie de toute remise en question éventuelle, par exemple venant d’une théorie considérant la langue en tant que telle déjà comme une sorte de « philosophie-mère » implicite ? Une telle philosophie avant l’heure (ou avant terme, a priori donc) serait alors à coup sûr celle de l’inter-dire même, et c’est de cet inter-dire en tant que pratique générale d’un (type de) langage commun que proviendrait alors la philosophie : une institution parmi d’autres relativement au verbe dire. 7

Une dissonance dans l’oeuf ?

Mais parmi les nombreuses raisons qui font, selon lui, que la philosophie a mieux à faire que de s’originer dans- et de s’interroger sur- une langue naturelle potentiellement directrice (et révélatrice !), Heinrich n’en cite … qu’une 8 : le rapport de l’homme à lui-même dans son savoir. (7-3) À ses débuts, explique-t-il, la philosophie concentrée sur le langage entendait justement dévoiler la conscience de soi de l’homme comme un fait linguistique. Mais selon Heinrich ça ne pouvait marcher. (7-6) Voilà pourquoi, continue-t-il, il incombe aujourd’hui à la pensée philosophique de comprendre la signification du langage autrement qu’en référant le contenu de la philosophie à des pré-donnés (Vorgabe) de la langue naturelle. (7-9) En d’autres termes, la philosophie ne tête pas au sein de la langue. Il insiste : La philosophie se développe certes dans la langue, mais ça n’est pas pour ça que sa tâche serait de rendre explicite ce qui serait déjà déposé en elle :

La philosophie serait tout entière dans ce qu’elle a à accomplir …

Et cette tache que Heinrich lui fixe est précisément en étroit rapport, selon lui, aux pensées grâce auxquelles un savoir sur eux-mêmes s’offre aux hommes. (7-11) 9 Si je comprends bien, la langue n’intéresse notre philosophe que pour autant qu’elle véhicule ses ambitions. Et quelle est son ambition première ? Savoir, bien sûr ; toujours savoir ! Encore lui. En l’occurrence un savoir sur nous-mêmes ! Mais attention, non point un savoir à chercher dans la langue en tant que telle (exit les conditions d’apparition du langage propre à la conscience de soi, par exemple, ou encore des modules politiques du savoir), mais, comme il apparaît plus loin : dans une philologie de la signification …

La philosophie se cantonne résolument – et s’accroche ? – à sa fonction.

Et donc la vérité sur la philosophie dans tout ça ? Il est vrai que la philosophie a su jusqu’ici se passer de fondements « socio-psycho-linguistiques », bref – de découvertes touchant l’inter-dire et sa place en son sein. Elle ne reconnaît que l’histoire officielle, les limites d’un cadre et de jeux de langages pourtant non définis qui forment le tout des relations humaines :

La Culture ...

Voilà pourquoi sans doute toute théorie (ou découverte ?) potentiellement dissidente pour elle, ne saurait ébranler la philosophie aussi longtemps que celle-ci poursuit son cap. La philosophie, en effet, a fait ses preuves dans ces conditions-là : la Culture. Mais c’est bien là, selon moi, le problème, car considérer l’inter-dire, c’est parler tout autrement de la Culture : en termes de rapports de langages, c’est-à-dire de relations humaines extérieures aux contenus, mais effectives dans les gestes. Les gestes appris.

*
Soyons hérétique(s) : est-il insensé de songer à une philosophie nouvelle qui ne s’acharnerait plus à savoir et à divulguer du savoir (comme son dire-mentor : la science), mais s’attacherait précisément à faire tout d’abord œuvre d’historienne ? Elle révélerait par exemple les différents rouages historiques de l’inter-dire jusqu’à nos jours, sans oublier de mentionner le savoir-croire* humain partout à l’oeuvre – et ce serait là sa partie « théorie sociologique de l’inter-dire ».10 A cela s’ajouterait l’essentiel révolutionnaire, proprement philosophique, par où elle rejoindrait la tradition (la vraie) : une sagesse d’homme et une éthique du dire humain – susceptibles de fonder un nouvel inter-dire – sur la base d’une Weltanschauung où règneraient les verbes croire et faire croire seuls,* c’est-à-dire où le verbe savoir et son sempiternel dire seraient détrônés (et non point bannis) et présentés comme appartenant à l’ancien paradigme, tout naturel : celui de la volonté de puissance.*

Le langage du savoir, c’était toujours de commencer par Dire.

De la sorte, tout du moins, les hommes auraient de quoi s’élever au-dessus de « l’homme », c’est-à-dire de cette forme-là aussi de volonté naturelle de puissance.* Le savoir rendu à ce qu’il est, nous commencerions alors par nous dire autrement ce que nous savons. Nous fonderions alors notre nouvel être au monde, non plus sur le savoir divin et son dire, mais sur un dire nouveau entre nous et son savoir-faire, précisément, en matière de monde – et de relations :

Il suffit déjà d’un croire 11 pour faire un monde.

*
Bref, Heinrich indique donc qu’il commence sa réflexion sur « La philosophie dans la langue » par la question : qu’est-ce que la philosophie ? Et tout naturellement sa réponse débute par une thèse sur le rapport de la théorie philosophique (celle qui ne fâche pas) à la conscience de soi de l’homme. (7-10) De Socrate l’initiateur, nous passons à Kant.


Le secret de Kant ?
Dieter Heinrich dit plus haut qu’il a tenté de fournir les raisons pour lesquelles toute recherche de connaissance de soi dans le rapport de la philosophie à la langue (ou à la sienne propre) a échoué et devait, selon lui, échouer. (7-6) Il s’enquiert maintenant d’interpréter Kant pour nous faire voir d’où déboule la philosophie. Alors ses tâches nous apparaîtront clairement.
Kant aurait articulé toute sa philosophie (des Lumières) autour de la conscience de soi, mais sans vouloir [!]cependant définir cet axe. (7-14) Il serait parti de l’idée qu’au-delà (ou en deçà ?) de l’origine des différentes façons de connaître, pas une explication complète et dernière ne peut encore être donnée, et qu’avec la notion de relation à soi du savoir une limite est atteinte. (8-9) Mais si Kant n’a pas voulu expliquer l’articulation susdite, c’est qu’il avait sûrement d’autres bonnes raisons. Heinrich écrit qu’aussi loin qu’il est allé lui-même dans la recherche d’une explication de la conscience de soi, la position de Kant l’a éclairé, bien qu’il ne l’ait pas exprimée. (7-10) Quel mystère ! Mais finalement, dans sa quête de connaissance de lui-même, l’homme serait poussé à ne chercher réponse que dans la vie pratique. (8-1) C’est en rapport à cette limite qu’apparaît fondamentalement, selon Heinrich, la réalisation de la philosophie.

« Donc la philosophie est pratique » …


Ce que fait la philosophie 
La philosophie commence ainsi par expliquer les différentes manières de savoir et leurs rapports à l’analyse des concepts.12 (8-2) Mais cela ne la définit pas encore. Ce qui la définit, c’est le rapport intime de trois taches n’en formant qu’une et ouvrant à l’homme des perspectives de vie … : 1) la gestion des limites de la raison,13 2) leur formation synthétique, c’est-à-dire la mise en ordre et l’évaluation (Ausloten : sonder) de toutes les sphères et limites de savoir – en vue de 3) mettre tout ça en relation avec des possibilités de vie pour les hommes. (8-3) Autrement dit, la philosophie centralise et coordonne les limites (8-14), et finalement s’efforce de faire apparaître aux hommes, relativement à ses limites, des clefs de vie personnelles. (8-8) Mais alors, « La philosophie dans la langue » débouche sur la vie ? Un pont entre la langue et la vie ? Ou l’inverse, peut-être …

La gestion des limites de la raison est sa réalisation principale, explique encore Heinrich. La nécessité des autres réalisations de la philosophie en est déduite. (8-9) Ainsi donc, entremetteuse, la philosophie met la raison en rapport avec la vie …14 Ou bien subordonne-t-elle plutôt la vie au savoir ? Un véritable philosophe, Heinrich ne craint-il pas de dire, cherchera tout au long de son travail un principe unificateur qui soit comme une solution consistante et convaincante à la tache évoquée, c’est-à-dire à la fois comme justifiée et attractive « pratiquement ». 15 (9-2) C’est-à-dire attractive parce que justifiée ? … Un savoir se propose de justifier l’empreinte qu’il devrait laisser sur la vie d’un homme. Mais un homme qui découvrirait un pareil principe 1) passerait sa vie à devoir le justifier auprès des autres,16 et de toute façon 2) il s’épuiserait très vite à le laisser seul diriger sa vie.17 Nos vies sont bien plus aisément conduites par d’incessants et instinctifs savoir – faire ! C’est plus sage … 18

M’est avis que la philosophie, « principe unificateur » dans ce qu’elle a de meilleur, passe sa vie à dire aux hommes, et qu’aujourd’hui les philosophes en personnes ne nous invitent en définitive, en guise de débouchés sur la vie pratique personnelle, qu’à les imiter : lire et écrire (mais c’est mieux encore si on enseigne !). De fait, concrètement : que nous apporte par exemple le discours présent de Heinrich relativement à nos pratiques de vie personnelles ? Son discours est-il, selon ses termes, consistant et convaincant ? Sans nul doute. Seulement ceci : en quoi l’a-t-il convaincu « pratiquement », lui, à part de continuer d’écrire et d’enseigner ? J’aurais aimé le savoir.19 J’imagine qu’une autre philosophie, tout aussi « bien étayée », pouvait conduire un homme à ne plus écrire, voire à ne plus devoir savoir et (se) justifier pour vivre sa découverte … « La philosophie sans la communication ? » Mais ça n’est pas la mienne non plus. Heinrich m’aura convaincu de continuer d’écrire …

C’est-à-dire de fonder l’écriture philosophique sur un échec de la communication
- sinon sur une « embrouille » !20 *

Heinrich poursuit son argumentation : il y a donc des savoirs divers et leurs limites à gérer. Mais nous avons aussi, plus tourmentant, à concilier l’idée que nous nous faisons de nous-même(s), de notre liberté, et l’impitoyable précision du savoir scientifique qui sans cesse la dément. Comment concilier ces deux mouvements de pensée que sont la description quasi-clinique des objets et l’approfondissement sans cesse contrarié de notre image de nous-même ? interroge-t-il. Comment les unifier dans une interprétation de sorte que plus aucune contradiction n’apparaisse entre elles et qu’elles puissent chacune poursuivre leur quête ? Pareil tourment justifie une fois de plus, selon lui, l’idée que la langue est bien le médium de la philosophie et non point toujours seulement son « thème ». (9-6) En clair : « Voici le problème, voilà sa solution. » Mais qu’est-ce qui justifie un tel arrangement entre la philosophie et la langue ?

Je dis bien pareillement que nous parlons et philosophons dans la langue (= milieu). 21 Mais le problème que me pose ici Heinrich est qu’il philosophe bien plutôt dans la philosophie, et que c’est pour cette raison, semble-t-il, qu’il « s’accroche » à elle et la défend sans cesse contre toute tentative de la raccorder à d’autres pratiques institutionnalisées de dire (dont elle est). Pour lui, comme pour tant d’autres hommes, la philosophie est globalisante ; il ne peut donc être question de la ranger parmi des catégories historiques de dire – « à égalité ». L’histoire de l’inter-dire et la sagesse qu’on peut peut-être en tirer ne s’accordent pas à cette philosophie-là, quelque peu immodeste.


Apologie, encore
La philosophie, dans la langue … s’accomplit donc. Elle y est chez elle. Elle débrouille en quelque sorte la langue. Un écheveau ? Elle a en charge, comme il fut dit plus haut, d’établir et de gérer les limites et les frontières des différentes disciplines. Elle classe. Cette mise en ordre sera plus ou moins stable ou mouvante, nous explique l’auteur, suivant le déplacement « en cours » des frontières. (9-11) Mais la philosophie ne met pas seulement en ordre la situation de problèmes, elle cherche également en parallèle des voies possibles et justifiables de solutions, voire d’intégrer l’insolubilité de certains problèmes dans le système, pourvu qu’elle ne le mette pas en danger. (9-12) Bref, l’auteur entre dans des considérations purement techniques. Mais il tient à nous faire remarquer qu’en fin de compte la philosophie ne fait pas seulement sa propre théorie, et si elle nous fournit des déterminations 22 pour notre conduite dans la vie, ça n’est pas seulement en tant qu’éthique. Elle est aussi description du monde et sa liaison à notre compréhension de nous-mêmes. (9-9) « La philosophie dans la langue » veut dire ici :

La langue ne (pré-)détermine pas nos pensées
Puisque nos pensées ont la philosophie ! (Ouf ?)

Et puis, selon sa façon de corréler les problèmes, de détailler les justifications et de les mettre en lien à la vie, chaque philosophie a son style ! (10-2) Et puis, selon sa façon de trouver expression, une philosophie peut être même amenée à enrichir la langue ! (10-3) Et ça n’est pas tout. Plus significatif encore est sa position par rapport à la langue naturelle. Avant même de se livrer aux hommes, chaque prise de position a à résoudre les problèmes mentionnés plus haut. Or, la question peut bien rester ouverte de savoir si toute pensée se dit dans un langage (in einer Sprache) ou également dans la langue naturelle, il apparaît clairement que la mise en ordre dont s’occupe la philosophie doit rester pour ainsi dire en contact étroit avec la langue naturelle si elle ne veut pas avoir à fournir en sus d’un jargon le mode d’emploi pour sa compréhension … (10-7) 23

Je comprends pareille motivation, mais alors pourquoi parler incessamment de « la philosophie » comme s’il s’agissait précisément d’un enclos à défendre dans le grand champ de la langue commune ? 24 Pourquoi ma position dans la vie serait-elle à défendre ! Que l’enclos parle à tout le champ ne prouve rien, les autres enclos le font aussi, même dans leur langage spécialisé. 25 Alors donc, s’il s’agit vraiment en fin de compte pour Heinrich de notre orientation dans la vie (et donc de la sienne aussi), s’il ne s’agit pas simplement pour nous de lire une thèse qui tente de s’imposer dans la grande librairie de nos pensées, pourquoi ne pas parler en son nom propre (voire se présenter comme un philosophe au lieu de toujours faire parler * « la philosophie »), et donner ainsi véritablement un exemple d’homme et d’orientation personnelle ? Ah, bien sûr, cela fait une différence que l’on dise tout bonnement ce que l’on pense ou qu’on l’agrémente d’argumentations solides. Mais qu’ont à faire ici les prescriptions faites – à la philosophie même !? 26

Est-ce la philosophie qui va vivre notre vie ? 27

Un artiste crée, il nous parle, assurément – mais sans mêler à son œuvre ses moyens de production ;
Un homme de science découvre, il nous parle, assurément – mais sans mêler à ses découvertes ce que nous devons en faire ;
Un philosophe crée ou découvre, il nous parle, assurément – mais pourquoi mêle-t-il à son œuvre à la fois ses moyens de production et ce que nous devons en faire ?

Philosophie : l’instance qui distribue les labels et les tâches ?

Quitte à imiter quelqu’un, pourquoi n’imiterais-je pas plutôt l’artiste ? Pourquoi la recherche scientifique ne serait-elle pas plus « indiquée pour ma vie » que la philosophie ? Vais-je choisir la philosophie simplement parce qu’elle a la capacité de gérer les différentes productions de dire ? Loin de l’effet escompté, voilà qui pourrait effrayer bien des hommes et donner à plus d’un l’envie de se taire !

Vraiment ? il faut savoir et savoir-faire tout ça pour nous entendre ? A leurs frontières, nous explique Heinrich, les formes ordinaires de notre compréhension réciproque (Verständigungen) perdent de leur force. (10-13) C’est là qu’intervient, encore une fois, la philosophie. Elle prend racine dans la langue de tous les jours, et, dut-elle s’en écarter sur le plan formel, voire s’y opposer un temps par son langage synthétique, elle veut rester en mesure de parler aux hommes de leur vie dans la langue naturelle (10-9). La philosophie dans la langue, en définitive, c’est la philosophie qui se veut populaire.


Détails techniques et soft théorie …
La (pratique épanouie de la) philosophie dans la langue, plus concrètement encore, Heinrich nous la décrit ainsi : la langue naturelle renferme en son sein des « mots-clefs » qui sont autant de trésors de synthèse déposés. (12-8) 28 Ces mots-clefs n’ont donc pas été créés par tel ou tel individu. La philosophie pour ainsi dire se raccorde à ces pièces maîtresses du chef-d’œuvre collectif [d’inter-dire ?] pour accomplir, à son tour, son œuvre. (12-1) Son œuvre ? - les quelques explications relatives à la signification de mots que donnent Heinrich (je ne les restitue pas ici) font apparaître que les réalisations synthétiques que sont ces mots-clefs peuvent toujours être rendues différemment par différents langages (14-2), voire conduire à des erreurs d’interprétation. Là encore, le « principe unificateur » du philosophe (qui n’est autre que la philosophie) va donc heureusement intervenir. Il lui permettra également de traduire d’une langue à l’autre, fussent-elles toutes inégalement dotées in esse de philosophie potentielle (12-2).
Les exemples qu’il donne de significations de mots peuvent être complétés, poursuit Heinrich, par d’autres, plus complexes, relatives à des expressions verbales. Ils renforceront la contribution des premiers aux questions fondamentales d’une théorie de la langue (14-6), c’est-à-dire, selon Heinrich (qui prescrit donc ici à la théorie ce qu’elle doit être), à la question de la signification dans la langue posée, par exemple, par Herder ou Kant. (14-4) « Question de la signification dans la langue » : mais peut-on seulement distinguer une langue de sa signification ?

La philosophie dans (auprès de) la langue : la philologue en chef de la signification ?

De fait, dès le début de son article, Heinrich prescrivait bien (à la philosophie) comme tâche : la signification de la langue pour la pensée philosophique. (7-13)


*
Au terme de ce quatrième paragraphe consacré à la théorie de la langue (le cinquième et dernier sera consacré au langage de l’idéalisme et à un travail plus personnel de l’auteur), et après avoir si bien défini et fait l’apologie de la philosophie en acte et énuméré sa tâche, ses moyens, ses contours légitimes et ses objets – Heinrich semble concéder enfin une brève expression (brève par la quantité de mots et l’emplacement choisi, en comparaison) de l’influence de la langue sur la philosophie. Dans le système que forme une langue naturelle, écrit-il, bien des rapports sont étrangers au regard que porte la philosophie, mais … ils contiennent forcément quelque trace (originelle ?) de pensée à laquelle cette dernière n’est pas étrangère. (15-12). Autrement dit, l’origine même (objectée précisément par certaine théorie de la langue) n’échappe pas à la pensée philosophique.

La tâche est sauve.

Mais Heinrich se risque plus loin plus courageusement : il est permis de se demander, écrit-il, combien l’apparition d’une langue [puisqu’elle sera dotée à plus ou moins long terme d’un potentiel philosophique], avec son réseau de rapports complexes, présuppose quelque faculté spontanée de coordonner – cette capacité entendue comme celle qui rend possible et définit, à un tout autre niveau que le sien, la philosophie en tant que telle. (15-7) Mais on aurait tort de penser que cette objection ne tournera pas, une fois encore, à l’avantage de la philosophie : celle-ci a besoin des deux, nous dit en effet l’auteur : besoin de la distance envers des prédonnés dans la langue et besoin … de l’inspiration qu’offrent ceux-ci ! (15-8)

Pour ma part, une telle liberté d’accommoder s’accordant si bien à celle de coordonner (qualité vantée ci-dessus), m’ôte tout sentiment de culpabilité quant à une trop grande liberté prise avec un auteur respecté. Aussi j’enfonce le clou : en dépit de l’absence de malveillance de ma part envers Dieter Heinrich (dont j’ai précédemment lu avec intérêt un ouvrage) ou de quelque impudent désir mien de braver un brave (de la philosophie), je ne peux me retenir d’instruire une sorte de procès d’intention : l’auteur ménage ici la chèvre et le chou et discourt moins de la philosophie dans la langue que de la langue au service de la (défense et de l’action de la) philosophie. Il y a là, pour ma gouverne, un exemple pratique de savoir-croire personnel en bute à quelque obstacle présenté devant son article de foi.



Et la langue dans l’inter-dire ?
Heinrich aurait pu interroger « La philosophie ET la langue », évitant ainsi peut-être toute appropriation de l’une par l’autre. De fait, la langue se prête manifestement à tout inter-dire local ou général. Peut-être même est-elle ce qu’il y a de plus malléable et de plus corruptible parmi les hommes. 29 Quoi qu’il en soit, étudier l’inter-dire comme système de relations humaines consiste à examiner ce qui est fait de la langue naturelle parmi les hommes,30 en quels langages elle se répartit, quelles institutions ont été mises en place, quelle hiérarchie de dire y règne, aux mains de qui s’exerce la plus grande communication, etc., et, à bien des égards :

« A qui profite le crime ».

Le problème qui se pose alors aussitôt à pareille étude réside logiquement dans son propre langage. Va-t-elle s’en constituer un ou emprunter par exemple celui de la sociologie ? ou bien de la philosophie ? De la psychologie, peut-être ? Et le langage politique ? … Comment va-t-elle parler aux hommes ? C’est-à-dire : comment vais-je parler aux hommes, moi qui prétend dire l’inter-dire mais ne veux pas à mon tour faire parler* quelque instance ? Il y a dans ces quelques mots, déjà clairement, un écart de langage. Ainsi donc :

Dire l’inter-dire, est-ce (possible de) le dire dans notre langue ?

Cela dépend sous quel inter-dire l’on se parle, du rapport de l’inter-dire au(x) langage(s), savoir si l’un n’empêche pas l’autre, si leur union est possible dans quelque langage de l’inter-dire, précisément, ou si, tout au contraire, parler de l’inter-dire qui est pourtant le nôtre, c’est parler aux hommes – en étranger.31 Heinrich, après d’autres, dit en substance à propos de la philosophie que c’est ce qu’elle fait qui compte. Et je constate que c’est partout ainsi dans notre inter-dire : on y fait fi des fondements, du cadre général en termes de relations humaines en l’occurrence, pourvu qu’on ait l’efficace de l’acte. Quelle efficace ? – être cru (pour le dire de façon laconique). L’inter-dire semble signifier ici :

« Il n’est pas utile à son exercice de dire aux hommes
Ce que leur inter-dire au juste fait. »

Dans ce cas, et j’emprunte ici encore notre brave logique de base, alors 1) je ne peux parler aux hommes de l’inter-dire dans un de leurs langages. 32 Cela me dispense du moins d’avoir à en choisir un. Je suis assuré ainsi de ne pas parler de l’inter-dire dans la langue, pris à mon tour au piège, croyant dire la langue dans l’inter-dire ... et 2) ce qui est inutile aux hommes, il leur est inutile de le connaître.

Par conséquent, ils ne connaissent pas leur inter-dire.

Ainsi, si dans notre système linguistique actuel tout peut être « matériellement » dit, en revanche parler de l’inter-dire comme d’un système (de lois et de règles d’échange) insu des pratiquants, c’est nécessairement parler, selon eux, pour ne rien dire. C’est-à-dire, bien sûr, tant que l’on demeure dans le système. Cela du moins je peux le dire.

Si notre inter-dire actuel est assimilable en pratique à un ensemble 33 de lois et de règles, cet ensemble organisé est à la fois ce système qui nous fait parler et dont nous parlons (du point de vue de l’autre inter-dire, en cours) – à notre insu. Nous parlons, mais ce que nous disons veut dire autre chose.34 Mais on l’aura compris, je parle déjà moi-même ainsi depuis un autre inter-dire. Quel est-il ? Eh bien, je parle (d’)un langage qui n’occulte pas l’inter-dire, qui veut voir le nôtre actuellement en face, fut-il « parfaitement efficace » comme il est ; mais encore : qui veut le connaître pour nous pousser à en créer un autre, qui le dépasserait en culture ... : « Je ne dis pas savoir » n’est pas son point de départ sceptique, mais son commencement relationnel parmi les hommes. Cet inter-dire favorise d’autres ambitions.

On comprendra sous quel angle d’inter-dire se placerait donc d’emblée cette étude.35 Je ne saurais dire si un inter-dire quel qu’il soit équivaut toujours à un système de pensées fondamentales inscrit en l’occurrence dans la langue et ses mots. 36 Mais tout se passe, là encore, énigme toujours réactivée,* comme s’il fut pensé. Pour céder à la tentation d’une boutade :

« La langue pense, les hommes la parlent ».

Des individus parlent, et quelque chose d’autre se passe qu’ils ignorent : ça s’organise, une (autre) langue apparaît, un (autre) système de valeurs se met en place. On imagine la place que peuvent avoir dans une telle conception les Existants * tels que « conscience de soi » ou autre « connaissance de soi » par exemple – chevaux de bataille, semble-t-il, de la philosophie. On peut supposer qu’il y est moins question de « soi » qu’il n’y paraît, et moins de la philosophie comme du havre de solutions ou de paix pour lequel elle se fait passer ! On peut penser que pas un élément du système, « mot-clef » ou institution, n’est inutile, esseulé, ni même « réservé ». Mais on imagine aussi, partant, qu’on ne saurait indûment l’isoler de l’ensemble (et moins encore le laisser parler de l’ensemble) – à moins de parler, encore une fois, dans le cadre actuel de l’inter-dire. 37 Mais bien sûr, pensera-t-on, je dis n’importe quoi : je suis moi-même en train de centraliser toute une conception des relations humaines.

« Moi » ?

Est-ce que je fais jusqu’ici un bon mésusage* de notre langue ? Est-ce que je parle ici suffisamment en étranger ? ;-) Je n’ai rien dit de notre inter-dire, simplement offert un regard. On comprend bien que je ne vais pas créer à moi tout seul les contours d’un nouvel inter-dire !38 Forcément mon langage est malhabile, trouble, « coupé » comme un mauvais vin. Mais peut-être parle-t-il déjà au cœur de certains d’un vin meilleur encore que notre actuel meilleur vin ? Allez, un indice : dans la liberté accordée officiellement à chacun de philosopher – liberté accordée par la philosophie même – j’aurai compris que certaines personnes versées dans « l’être philosophe » sont plus crédibles que d’autres. Ainsi tel homme, vivant en philosophe, aura su m’inspirer de l’imiter, de vivre comme lui. C’aurait été cela, la philosophie. Mais j’ai fait erreur, car cette crédibilité est assortie, dans notre système inter-dire, d’un droit (d’un devoir ?) à orienter les autres, c’est-à-dire – à leur faire savoir. J’ai sûrement loupé quelque chose ; je fus mal éduqué, sans doute. Je me ravise. Or donc, me dis-je cependant, dans ces conditions, quelle est cette liberté octroyée à chacun de philosopher si cela consiste à (devoir ou vouloir) démontrer à tous que l’on sait pour que d’autres à leur tour philosophent, c’est-à-dire à leur tour démontrent à tous qu’ils savent, etc.? La philosophie n’est-elle qu’un pur relais de savoir passant de l’un à l’autre au sein de l’inter-dire ?

Assurément, entre (le) savoir et quelque double promesse de soi 39
Il y a bien plus qu’un simple dire aux autres 

Bref, ai-je d’autre « liberté » que de démontrer ?* Mais si, parce que « j’aurais mieux » qu’elle, ou bien encore parce que je concevrais autrement ma liberté, je me refusais à celle offerte, que dira-t-on de moi ? – Que je m’enchaîne à quelle valeur négative, que je suis soumis à la subjectivité, à quelque secrète pulsion ou passion égotiste, à l’irrationalisme, etc. Alors il sera vain que j’argue par exemple pour ma défense une certaine logique, encore de base, à savoir que si je ne démontre rien à personne, les autres n’ont pas à se plaindre de moi de ce que je leur dis. Alors pourquoi me jugent-ils ? C’est leur inter-dire qui le veut : il ne supporte pas que je parle de la sorte, que je mette de côté tant de ces trésors qu’il offre.

Etre philosophe n’est pas parler philosophie.



______________________________

1. Article de ma confrontation :* « Die Philosophie in der Sprache », de Dieter Heinrich, paru dans Information Philosophie 3/ 2007. Je précise qu’il se peut que j’ai mal compris et / ou traduit la pensée de l’auteur. Que le lecteur veuille donc bien, le cas échéant, considérer cet écrit comme un « bras-de-mer » de plus dans l’expression de ma pensée.
2. Philosophe-philologue, plus exactement. (infra)
3. Wenn allerdings in jeder Sprache ein Gesamtverstehen von der Welt aufginge, das jegliches Denken durchherrscht und ermöglicht, dann müsste [!] auch die Philosophie zuletzt darauf beschränkt sein, dies Verstehen ausdrücklich zu machen und weiter auszulegen. Doch viele Gründe sprechen dagegen, das Verhältnis der Philosophie zur Sprache und zu ihrer eigenen Sprache so zu fassen. (7-4)
4. Après tout, la philosophie est née d’un exercice de la langue ; celle-ci – c’est-à-dire ici l’inter-dire – pourrait donc la définir. Il est vrai que Heinrich s’interroge, plus loin, en ce sens. (15-7) Mais seulement après avoir placés devant bien de prévenants obstacles !
5. Celle-ci joue le rôle d’un des mots-clef tels qu’Heinrich les définit et l’intérêt qu’il leur accorde. (infra) « Conscience de soi » - que demander de plus ! Article de foi de la philosophie ? 
6. Mais rien là que de très conforme à la tâche de définir et de gérer les frontières que l’auteur fixe à la philosophie (infra) … La théorie de la langue fait-elle de même ? Définit-elle d’abord la théorie avant de s’attaquer à son objet ? Qu’est-ce qu’une théorie ? Je crois qu’un livre récent porte ce titre.
7. Dans cette hypothèse, on rechercherait en quoi l’inter-dire grec antique, au travers de sa langue commune, a permis l’éclosion d’un langage comme la philosophie. Je partage l’avis de Heinrich selon lequel ça n’est pas dans des mots isolés (Heidegger) qu’on le trouvera. Non plus dans les textes des philosophes …
8. Mais il est dit en fin d’article que celui-ci n’est qu’un résumé.
9. Mais ce peut n’être là qu’une opportunité de dire aux hommes … Le lien entre la philosophie et la conscience de soi est à ce point étroit qu’il est possible de penser que de celle-ci, objet potentiel de dire, est justement née la philosophie. La philosophie – un dire opportuniste ? Il n’est qu’à voir sa passion de nous dire ! Irai-je jusqu’à dire qu’elle est trop souvent, à mon goût, la boutique de la conscience de soi ?
10. Heinrich prétend que si une compréhension d’ensemble du monde logeait dans la langue et rendait possibles nos pensées tout en traversant et dominant chacune d’elles, alors la philosophie se limiterait à rendre cette intelligence explicite et à l’exposer. (7-15) C’est le signe, selon moi, qu’il pense incessamment « Culture » (système ouvert sur le monde, dit-on, mais souverainement défini en tout cas) et méconnaît l’intérêt d’analyser les choses en termes de rapports de dires, en terme général d’inter-dire. Chaque langue maternelle dit certes le monde dans lequel nous vivons, comment nous l’avons organisé pour nous – mais peut-être aussi et surtout, dans la distribution et la hiérarchie des différents langages dont certains sont des institutions, comment sont établis et prescrits les rapports humains (entre leurs différents types de dires).
11. Chacun fait déjà bien son monde ! même si tous, bien éduqués, l’appellent « opinion ».
12. Je lui oppose un relevé des différents dires et des relations humaines qu’ils induisent.
13. Par exemple les frontières quelques peu mouvantes des diverses disciplines. A l’occasion de nouveaux concepts peuvent être créés. (9-7)
14. Et plus terre-à-terre : les différents langages aussi. (infra)
15. « La philosophie » est-elle son principe unificateur ?
16. Car nous-mêmes ne lui accorderions aucune sagesse personnelle qu’il ne saurait nous justifier. En outre, c’est bien là ce que semblent faire les philosophies professionnels : justifier.

17. Sans compter qu’il aurait aussi à la vérifier sans cesse, à cause de nouvelles objections possibles venant de l’extérieur, toujours à craindre …
18. Notre savoir-croire*, dans sa plus large part « instinctif », est plus sage. Il est à la manœuvre. Il serait intéressant de découvrir où il passe le relais à la conscience, pour quelles raisons, et dans quelle mesure il lui inspire même parfois l’aveuglement ou la mauvaise foi : le savoir-croire humain est si souvent metis !
19. Depuis longtemps déjà, les progrès que font nos philosophes dans leur vie personnelle en matière de philosophie ne se manifestent à nous que sous la forme de nouveaux écrits. De sempiternels « essais philosophiques ». En outre, d’un livre à l’autre du même auteur, il n’y a pas même nécessairement progrès, mais le plus souvent, au mieux, une précision des concepts précédemment élaborés. Est-ce là tout pour nous ? Mais alors la sagesse pratique promise ? Juste de quoi savoir réfléchir ? Mais réfléchir quoi au juste qui nous concerne vraiment si nous n’avons pas l’intention, à notre tour, d’écrire des livres ?
20. Un consensus étrange semble en effet autoriser des hommes à dire aux autres comment vivre sans avoir à leur dire comment eux-mêmes vivent. (Un relevé de dire parmi d’autres)
21. Je peux même supposer que certaines de nos interrogations ne viennent peut-être, tragiquement, que de la grammaire !
22. Le même mot « Vorgabe » que j’ai traduit plus haut par « pré-donné ».
23. A son heureux actif, il faut encore ajouter l’inspiration que lui offre la flexibilité de la langue pour la mise en forme … (15-5)
24. Notamment contre certaine théorie, de l’autre côté de la barrière … culturelle (supra)
25. Ca n’est pas la philosophie qui gère leur existence mais l’inter-dire. Celui-ci est à la fois l’implicite « langue des dires » et la pratique effective de tous ces dires. Mon dire à moi, par exemple, n’est pas homologué. Mais celui d’un peintre au travers de son œuvre, par exemple, n’a pas pour autant le champ (…) libre. Il fait partie du champ culturel au sens noble du terme (un langage ?), lequel se démarque du champ économique, du champ philosophique, etc.

26. Ses taches, sa méthode, les écueils qu’il lui faut éviter, etc.
27. Pourquoi les hommes de savoir nous donnent-ils toujours quelque Objet ou Instance à adorer ? Même les « Infos » de 20 heures sont aujourd’hui un cri de ralliement ! Mais les infos pour quoi faire ? Philosophie ou information, chacun les reçoit individuellement (il n’a qu’un cerveau) et s’imagine, semble-t-il, que ça lui parle. Erreur funeste ! Il ne saura donc jamais faire la différence entre un discours (fut-ce en image) présenté POUR une masse – et un dire véritable à l’autre, à lui. (Cf. « A toi ou au plus grand nombre ? »). L’Instance : un discours sans dire ? Je n’invente rien : le discours s’adresse uniquement au tout
(« nous ») auquel chacun est censé pour l’occasion s’identifier. Sa vie à lui c’est tout autre chose, elle n’est pas ce tout, il n’est pas ce nous … On lui parle donc autrement quand on lui parle.
28. Une référence à Vico ?
29. A l’entendre dire, chacun de nous a raison d’être comme il est, de penser comme il pense, etc. Aussi, à voir son empressement à le faire savoir aux autres, on peut conclure qu’aucun n’accorde donc ce même droit aux autres. Mais la langue se prête aussi volontiers à cette iniquité.
30. Elle-même n’est pas exempte de potentiels divers.
31. On a vu à quel point la philosophie, selon Heinrich, tient à parler aux hommes en familière de leur langage. La loi du « au plus grand nombre possible », sans doute.

32. Mais le mien est pourtant ici politique.
33. Je ne veux pas dire ici « langue » pour ne pas prêter à confusion.
34. Par exemple : que signifie la solitude via la langue (= écrire sa solitude) en termes de relations humaines.

35. Mais on a quand même le loisir de l’entreprendre à partir du sérail même. Mais gare alors aux paradoxes et aux nécessaires mensonges !
36. Une sorte de « Constitution politico-linguistique ». A ce titre sont intéressantes les notes de Wittgenstein : ce que l’on pense sans le savoir (dans les deux sens du mot), par exemple.

37. L’exercice de la rhétorique officielle est par définition homologué et soutenu comme un pouvoir (bâti logiquement, soutenu rationnellement, etc.) ; un homme vit du système, dans le système, et, pour peu qu’il ait quelque responsabilité institutionnelle, il est armé pour accomplir sa mission-fonction : enrôler des adeptes d’un côté, défendre le système contre toute attaque de principe, de l’autre. Son moi est en jeu dans le système.
38. J’ai tenté, sans succès, de susciter ailleurs un s’entredire. Je n’y arriverais pas ici tout seul !

39. Connaissance de soi et identité bien tracée (sinon grasse).


























Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Membres